Tout le nord du Népal est occupé par la chaîne de l’Himalaya, avec huit des sommets les plus hauts du monde, y compris l’Everest. La violence du séisme de samedi a provoqué de gros dégâts dans plusieurs villages d’altitude et déclenché de nombreuses avalanches, dont ont témoigné ces dernières heures les alpinistes présents sur ces montagnes. Le printemps est en effet la grande période des expéditions himalayennes. Or, presque toutes sont dotées de moyens de communications satellitaires. Sur l’Annapurna, le Manaslu, le Makalu, entre autres, des avalanches se sont déclenchées sans faire de victimes, selon les himalayistes présents sur ces sommets de plus de 8 000 mètres.
Sur le toit du monde, en revanche, le très courtisé Everest (8 850 mètres), le séisme a provoqué un drame. Le camp de base du versant sud, situé sur le glacier népalais du Khumbu à 5 300 mètres, a été partiellement ravagé par une avalanche partie d’un sommet proche. Samedi midi, le tremblement de terre a décroché d’énormes masses de neige et de glace sur les flancs du Pumori (7 165 mètres). Au pied de cette montagne, à deux ou trois kilomètres, le camp de base de l’Everest s’étire sur un kilomètre de long.
Deux minutes après le séisme, l'«aérosol» (le nuage formé d'air et de neige) de cette avalanche monstrueuse a soufflé le camp sur une longueur de 300 mètres, détruisant des dizaines de tentes. Des centaines de personnes s'y trouvaient, tandis que 100 à 200 himalayistes étaient montés les jours précédents dans les camps d'altitude. «Seul l'aérosol a touché le camp, un souffle très fort, chargé de particules de neige, mais aussi de blocs de pierre et de glace arrachés aux pentes et au glacier», témoigne Patrick Wagnon, chercheur et guide qui s'est rendu sur le site dimanche matin.
Fractures ouvertes. Selon les bilans provisoires, de 17 à 19 personnes ont été tuées, dont plusieurs Népalais, des sherpas notamment. Les blessés sont au nombre de plusieurs dizaines, entre 30 et 60. Beaucoup de fractures, parfois ouvertes. «Les personnes touchées par l'avalanche présentent des impacts : ils ont été frappés par des projectiles transportés par le souffle de l'avalanche», rapporte Patrick Wagnon. Aucun appareil n'a pu rallier l'Everest samedi en raison du mauvais temps, les survivants et les médecins d'expédition présents sur place ont donc soigné les blessés, certains très gravement, comme ils ont pu. Dimanche matin, à la faveur d'un ciel dégagé, des hélicoptères ont pu rejoindre le camp de base et évacuer les blessés les plus graves vers les premiers villages sur la route de l'Everest, Pheriche notamment, ou même Katmandou. Certains hélicoptères ont poussé plus haut, vers le camp 1, où des alpinistes étaient bloqués. Quelques-uns d'entre eux ont été récupérés et évacués.
Juste au-dessus du camp de base, la voie normale d’ascension de l’Everest traverse en effet une immense zone glaciaire, très tourmentée car très raide. Cette zone, appelée le Khumbu Ice Fall, est un chaos instable de blocs, de séracs et de crevasses à travers lequel les sherpas tracent chaque printemps, à grands renforts d’échelles et de cordes fixes, une voie de progression pour les himalayistes. Le séisme puis ses répliques, par les éboulements de glace et avalanches qu’ils ont provoqués, ont détruit ce cheminement fragile, si bien que de 100 à 200 alpinistes situés au-dessus de l’Ice Fall étaient depuis samedi midi coincés en altitude. Dimanche à la mi-journée, alors que le retour du mauvais temps interdisait toute nouvelle rotation d’hélicoptères, les sherpas étaient sur le point de rétablir le passage. Les risques restent importants : c’est sur cet Ice Fall que 19 Népalais avaient été tués par une seule avalanche, au printemps 2014, alors qu’ils travaillaient à l’équipement de l’itinéraire.
Partie émergée. Kanchaman Tamang, un cuisinier népalais employé au camp de base par une agence britannique et interrogé par l'AFP, avait déjà vécu le drame de l'an dernier : «Après le désastre de 2014, je n'étais pas inquiet. J'ai même raconté à ma famille que je travaillais au camp de base et que j'étais en sécurité.» Cette fois, ajoute-t-il, «la saison est terminée, les chemins sont détruits. Je ne crois pas que je reviendrai l'année prochaine. Cette montagne, c'est trop de douleur». Ces victimes du séisme sur l'Everest, surexposées, ne représentent pourtant que la partie émergée de la catastrophe dans les hautes montagnes népalaises. Aucun bilan ni estimation des dégâts dans les hautes vallées n'était encore disponible dimanche soir.
Un guide français, présent dans la région reculée du Langtang, au nord de Katmandou, a ainsi témoigné auprès du Syndicat des guides français, le SNGM, de ce qu'il a constaté : le petit village de Kyanjin a été détruit par le souffle d'une avalanche et de très nombreux blessés attendent d'hypothétiques secours. Un peu plus bas, dans la même vallée, le bourg de Langtang lui-même a été rasé par une énorme avalanche. Il n'y aurait, selon le témoignage du guide français, «aucun survivant».
Glissements de terrain. Dans les zones les plus reculées et déshéritées du Népal, combien de villages ont-ils été ainsi frappés ? Combien de milliers de morts ? Les connaisseurs de la région rappellent un sinistre précédent : le 8 octobre 2005, un terrible séisme, de magnitude 7,6, à peine moins violent que celui de samedi, avait ravagé le Cachemire, une région de montagne partagée entre Pakistan et Inde. Le bilan avait été très lourd : 75 000 morts, 100 000 blessés et 3 millions de sans-abri, dont une majorité d’enfants. Des dizaines de villages isolés, difficiles d’accès et situés en altitude, après avoir été ravagés par le séisme et les glissements de terrains, n’avaient jamais vu arriver le moindre secours.