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Libération
Interview

Patrick Wagnon: «Puis la surface du lac gelé s’est disloquée»

Le Népal meurtridossier
Le chercheur et alpiniste présent dans l’Himalaya au moment du séisme témoigne.
Vue du camp de base de l'Everest, dévasté après une avalanche causée par le violent séisme de samedi au Népal, le 25 avril. (Photo Roberto Schmidt. AFP)
publié le 26 avril 2015 à 19h36

Patrick Wagnon, chercheur en glaciologie, guide de haute montagne et himalayiste grenoblois installé au Népal avec sa famille, était samedi en mission scientifique sur un glacier de la haute vallée du Khumbu, celle de l’Everest. Il a échappé de justesse au séisme, puis s’est rendu dimanche matin au camp de base de l’Everest. Il nous a livré son témoignage via téléphone satellitaire.

Où étiez-vous samedi au moment du séisme ?

Depuis le 28 mars, je suis en mission sur le terrain, sur les glaciers Kongma et Shangri Nup, à quelques heures de marche du camp de base de l’Everest. Samedi, avec mon collègue Guillaume, nous avions pris le chemin du retour à 11 heures, sous la neige qui n’avait cessé de tomber depuis vendredi. Le séisme a eu lieu alors que nous traversions, encordés, un long lac gelé. Au milieu du lac, la surface s’est mise à osciller, et j’ai d’abord cru que la glace cédait sous notre poids. Guillaume, derrière moi, s’est mis à quatre pattes puis, voyant que les oscillations continuaient, s’est rué vers un îlot rocheux à 10 mètres de lui. Je l’ai rejoint aussi vite que possible en m’attendant à tout moment à voir s’ouvrir la glace sous moi. Deux avalanches se sont déclenchées dans la face nord qui domine le lac, mais elles ne nous ont pas atteints. Puis la surface du lac, là ou nous étions trois ou quatre minutes plus tôt, s’est disloquée. Impressionnant… Après dix minutes, nous avons continué sur le lac gelé, sur la partie non disloquée, et nous avons rejoint le fond de la vallée du Khumbu à 13 h 30. J’ai pu appeler ma famille, saine et sauve dans le quartier de Pathan à Katmandou, relativement épargné. Ils campent dans le jardin, et, s’il n’y a ni Internet ni électricité à la maison, des commerces sont encore ouverts et il n’y a pas de soucis niveau nourriture ou eau.

Quelle situation avez-vous trouvé ce matin au camp de base de l’Everest ?

A priori, 19 personnes ont été tuées, surtout des Népalais, dont deux dans l’Ice Fall au-dessus du camp, et il y a au moins autant de blessés. Il y avait une ambiance lourde et pesante, de mort, dimanche matin. Beaucoup de rescapés étaient en état de choc, certains totalement abattus, d’autres surexcités, exubérants… et presque tous pendus aux téléphones. Il y avait des groupes rassemblés, silencieux, autour d’un cadavre enveloppé dans une toile. Il faisait beau et, jusqu’à midi, trois hélicos ont tourné pour évacuer les blessés vers Pheriche ou Lukla. Certains étaient vraiment mal en point, fractures ouvertes et hémorragies… Je me demande comment ils vont pouvoir être soignés, tous les hôpitaux sont débordés. A 13 heures, il a recommencé à neiger : fin des rotations. Nous avons ressenti une forte réplique, elle a provoqué des avalanches et des chutes de pierres, mais sans conséquences…

Vous n’êtes pas resté ?

Non, nous ne servions à rien. Nous avions monté des médicaments, par acquit de conscience, mais il y a tout ce qu’il faut au camp de base de l’Everest, grand cirque planétaire… Il est évident que l’Everest a été très privilégié en termes de secours. Ce n’est rien ce qui s’est passé ici, comparé au reste du pays. Une goutte d’eau dans l’océan.