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Libération
Récit

«Une poussière monstrueuse est montée de la colline»

Le Népal meurtridossier
Le séisme de magnitude 7,8 qui a frappé le Népal samedi a fait au moins 4 310 morts dont deux Français. Le tremblement de terre a également fait près de 8 000 blessés.
Habitations détruites autour du quartier central de Durbar à Katmandou. (Photo Niranjan Shrestha. AP)
publié le 26 avril 2015 à 19h56
(mis à jour le 27 avril 2015 à 18h36)

La secousse a été longue, très longue. Entre trente secondes et deux minutes. Katmandou, capitale du Népal, petit pays enclavé entre la Chine et l'Inde, a été durement touché par le violent séisme qui a ravagé la région, samedi. Saru Khakurel, comme les autres professeurs de son école, assistait à une formation pédagogique. Jointe par téléphone dimanche soir, elle raconte : «J'étais descendue dans la cour discuter avec un parent d'élève. Ça a commencé à 11 h 55. Une poussière monstrueuse est montée de la colline, les tours du voisin se sont écrasées en mille morceaux dans la cour, les citernes d'eau sont tombées sur nous. Le pensionnat a été fissuré mais il tient encore debout. Avec les internes, qui ne rentrent que trois ou quatre fois chez eux par an, nous n'avons pas quitté la cour depuis hier.»

Mardi matin, le bilan officiel de ce séisme de 7,8 sur l'échelle de Richter était de de 4 310 morts et 7 953 blessés, mais de l'aveu de tous les observateurs, il est amené à s'aggraver, notamment dans les deux autres villes plus proches de l'épicentre, Gorkha et Pokhara. «Il y a eu beaucoup de scènes de panique, de nombreux immeubles se sont écrasés, plutôt des bâtiments et des maisons anciennes, mais pas des rues entières. Et les hôpitaux sont restés debout», raconte Florence Daunis, de Handicap International, qui avait une mission en cours au Népal. Les premiers secours ont été portés par les habitants, qui s'activaient à rechercher des survivants enfouis sous les décombres, aidés parfois par un bulldozer. Les Népalais ont passé dimanche leur deuxième nuit dehors malgré le froid, n'osant pas rentrer chez eux. Les répliques se sont succédé tout le week-end, ajoutant à la confusion. Une très forte secousse notamment, classée à 6,7 sur l'échelle de Richter, a encore été ressentie dimanche, mais n'aurait pas fait de nouvelles victimes.

Hôpital gonflable. L'aide internationale s'est mise en ordre de bataille très rapidement. Dès samedi, Médecins sans frontières dépêchait des missions depuis l'Inde, l'enjeu étant l'évaluation des besoins. Le responsable des urgences, Laurent Sury, expliquait samedi «se préparer à faire du lourd, car la région affectée est très étendue». L'ONG a décidé d'envoyer un hôpital gonflable. L'aéroport de Katmandou, endommagé, a pu rouvrir dimanche pour accueillir les secours. De nombreux pays ont proposé leur aide, et le Quai d'Orsay va affréter rapidement un avion pour transporter les équipes humanitaires et du matériel.

Dans ce pays himalayen, un des plus pauvres d’Asie et très instable politiquement, la catastrophe aurait pu être bien plus meurtrière encore. Le tremblement de terre s’est déclenché pendant le week-end, juste avant midi : les écoles et les bureaux étaient fermés. A Katmandou et sa banlieue, où vivent 2 des 28 millions d’habitants du pays, beaucoup de gens étaient dehors, se promenaient, faisaient leurs courses, ou ont pu sortir dès les premières secousses.

Un exilé népalais à Paris, joint par Libération, a pu obtenir des nouvelles de son village, situé à environ 40 km de l'épicentre, à une heure et demie de la capitale. «Il y a beaucoup de dégâts, très peu de maisons sont encore debout. Mais il y a très peu de blessés, en tout cas pour l'instant. A ce moment-là, un samedi en fin de matinée, les maisons étaient vides, les gens travaillaient dans leurs champs, c'est une grande chance», explique-t-il. Au Népal, 80% de la population active est encore employée dans le secteur de l'agriculture.

Si les communications sont très difficiles, et les informations toujours parcellaires, les Népalais glanent quelques nouvelles par les dizaines de radios locales et les transmettent à la diaspora, l'Etat ayant rendu gratuits les appels vers l'international dès samedi soir. Le sort de grandes zones isolées reste néanmoins encore inconnu, le pays étant déjà très enclavé en temps normal et le secteur public déficient. La région de Pokhara notamment, très touristique, a été durement touchée alors que la saison des treks battait son plein, et de nombreuses expéditions ont été surprises par les avalanches déclenchées par le séisme et ses répliques.

Dieu Shiva. Patrick Coulombel, cofondateur d'Architectes de l'urgence, une ONG spécialisée dans la mise en sécurité des bâtiments après une catastrophe naturelle, craint notamment des glissements de terrain «ravageurs», qui empêcheraient en plus l'accès aux vallées reculées.«Bien que l'habitat traditionnel soit fait de pierres renforcé aux angles par du bois, un système de protection parasismique assez efficace, les villages de montagne ont forcément beaucoup souffert des destructions, car la magnitude est énorme», explique l'expert, rappelant que «le pays est situé sur une forte zone sismique, et si les séismes y sont rares, ils sont très forts, comme dans toutes les zones de subduction, où une plaque continentale passe sous une autre». Le dernier grand séisme himalayen avait frappé le Cachemire en 2005. D'une magnitude comparable, il avait fait 100 000 morts au Pakistan et déclenché une catastrophe humanitaire.

En plus des bilans humain et matériel, une importante ressource économique du Népal est frappée au cœur, le tourisme. Les villes de Patan et Bhaktapur, anciens royaumes de la vallée au patrimoine inestimable, ont été très touchées. Et surtout, le centre historique de Katmandou a été dévasté. La place Durbar, classée au patrimoine mondial de l'Unesco, n'est plus qu'un tas de gravats. Erigés par les rois Malla entre les XIIe et XVIIIe siècles, les temples, statues, promenades et fontaines qui s'y dressaient constituaient «une symbiose unique de l'hindouisme, du bouddhisme et du tantrisme», explique l'Unesco. Le stupa Boudhanath, un des plus vieux monuments bouddhistes, a été gravement endommagé.

De la tour historique Dharhara, une des autres attractions majeures de la capitale, il ne reste plus que le socle. L'édifice abritait un sanctuaire hindou dédié au dieu Shiva. Haute de neuf étages, surmontée d'un minaret de bronze datant du XIXe siècle, elle offrait un point de vue très prisé sur la ville. Des dizaines de visiteurs se sont retrouvés piégés dans son escalier en spirale de 200 marches, au moins une dizaine d'entre eux en sont morts. La tour Dharhara avait déjà été reconstruite après le tremblement de terre de 1934 et, ce week-end, les habitants de la capitale ramassaient déjà un par un les débris des monuments, en vue d'une éventuelle reconstruction.

Actualisé le 27 avril, à 11h37

Repères: Les précédents séismes meurtriers

3 août 2014, Chine. Un tremblement de terre de magnitude 6,1 frappe une région montagneuse de la province du Yunnan (Sud-Ouest), faisant 600 morts et plus de 2 400 blessés. 80 000 maisons s'effondrent.

11 mars 2011, Japon. Un séisme de magnitude 9 suivi d'un tsunami géant dévastent la région du Tohoku (Nord-Est), faisant près de 19 000 morts, et provoquent un grave accident nucléaire à la centrale de Fukushima.

12 janvier 2010, Haïti. Plus de 200 000 personnes meurent dans un tremblement de terre de magnitude 7 qui détruit notamment une grande partie de la capitale, Port-au-Prince, et fait plus d'un million de déplacés.

12 mai 2008, Chine. Près de 87 000 personnes sont tuées dans un séisme de magnitude 8, dans la province du Sichuan (Sud-Ouest) - le plus meurtrier en Chine depuis trente-deux ans.

8 octobre 2005, Inde et Pakistan. Un séisme de magnitude 7,6 fait au moins 75 000 morts dans la région du Cachemire, dont plus de 73 300 au Pakistan.