«La démocratie est enterrée, mais je n’ai pas peur : j’ai 40 ans et j’ai connu vingt ans de guerre au Burundi.» Sur le seuil de sa maison de Nyakabiga, quartier populaire du centre de la capitale Bujumbura, cet homme assiste impuissant à l’affrontement entre jeunes manifestants et forces de police. Comme ses voisins, il va et vient entre sa porte d’entrée et la chaussée, au gré des jets de pierre et des gaz lacrymogènes, alors que les manifestants huent la police mais acclament les camions de l’armée. «La police, ce sont des forces d’insécurité, poursuit-il. Les gens du pouvoir sapent l’avenir de nos jeunes et mettent leur propre population en danger.»
Dimanche matin, des manifestations ont éclaté dans plusieurs quartiers de la ville, suite à l’annonce de la candidature du président de la République, Pierre Nkurunziza, à un troisième mandat lors de l'élection du 26 juin prochain que n’autorisent pourtant pas les accords de paix d’Arusha, signés en 2000 par son parti, le CNDD-FDD (Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie).
Depuis deux jours, Bujumbura est en état stationnaire : s’il y a encore quelques passants, les boutiques sont fermées, les vendeurs ambulants ont déserté les rues, les banques n’ouvrent qu’aux gens bien placés et rares sont les taxis qui s’aventurent en dehors du centre-ville, verrouillé de policiers. En tout, trois personnes ont été tuées lors des manifestations. On ne connaît pas encore le nombre de personnes blessées ou arrêtées, et les informations en provenance de l’intérieur du pays sont rares.
La Radio Publique Africaine fermée de force
Dimanche soir, deux habitants de Mutakura, un quartier populaire du nord de la ville, ont été assassinés chez eux par balles. Trois hommes vêtus de l’uniforme d’une brigade spéciale chargée de la protection des personnalités politiques, étaient accompagnés de policiers et d’Imbonerakure, la ligue de jeunesse du CNDD-FDD. Quelques heures auparavant, armés de pierres et de bâtons, les Imbonerakure attaquaient la permanence du Mouvement pour la solidarité et la démocratie (MSD), l’un des principaux partis d’opposition.
Lundi matin, alors que les manifestations se poursuivaient, Pierre Mbonimpa, président de l’APRODH (Association Burundaise pour la Protection des Droits Humains et des Personnes Détenues), a été brutalisé et arrêté par des agents du Service national des renseignements alors qu’il se préparait à une émission enregistrée à la Maison de la Presse. Le lieu a été fermé par les forces de police. «Aujourd’hui, on vous tue parce que vous êtes d’un parti d’opposition et il n’y a jamais de dossier judiciaire», nous disait-il quelques jours avant son arrestation. En septembre, Pierre Mbonimpa, âgé de 66 ans, avait déjà été arrêté puis relâché, après avoir dénoncé l’armement des Imbonerakure et leur entrainement par des membres de l’armée burundaise en République Démocratique du Congo.
Deux heures plus tard, ce lundi, ce fut le tour des locaux de la Radio Publique Africaine (RPA), la station la plus écoutée du pays, d'être fermée de force. Les mêmes agents du SNR accompagnés de la police sont entrés dans les studios, ont interrompu la diffusion et bloqué l’accès aux journalistes. La veille, les antennes de trois radios privées avaient été bloquées à l’intérieur du pays, tandis que les ministres de l’Intérieur et de la Communication venaient en personne déposer un mandat de perquisition à la RPA, célèbre pour ses enquêtes d’investigation. Créée en 2001 par Alexis Sinduhije, ancien journaliste et actuel président du parti d’opposition Mouvement pour la Solidarité et la Démocratie (MSD), la RPA avait déjà été ébranlée par l’arrestation de son directeur, Bob Rugurika, en février dernier. Libéré au bout d’un mois, il venait alors de révéler l’implication des services de renseignements dans l’assassinat de trois religieuses italiennes en septembre. Pour celui que les Burundais surnomment affectueusement «Bob», «c’est la stratégie d’un groupe mafieux qui va faire revenir le pays quarante ans en arrière. Ca vise à exterminer des gens en huis clos, dans l’indifférence.» «C’est la honte, résume un jeune habitant de Kanyosha, venu manifester devant la RPA à l’annonce de la nouvelle. Il n’y a plus d’institutions au Burundi : l’objectif, c’est de faire taire toute personne qui voudrait crier au secours.»