J+2, J+3, J+4. C’est le décompte angoissant que les équipes humanitaires françaises, bloquées sur une base militaire d’Abou Dhabi depuis une trentaine d’heures, refont en permanence. Quatre jours après qu’un séisme de magnitude 7,8 a ravagé le Népal, déclenchant un chaos que ce petit pays, un des plus pauvres d’Asie et instable politiquement, ne peut maîtriser, le bilan est désormais de plus de 5 000 morts et 250 disparus. Alors que le premier avion français transportant de l’aide humanitaire vient seulement d’atterrir à Katmandou, un Airbus affrété par le Quai d’Orsay a décollé lundi de Roissy, chargé d’une centaine d’humanitaires, membres d’ONG ou de la sécurité civile, les soutes emplies de 20 tonnes de matériel d’urgence. Faute de pouvoir atterrir à Katmandou, il stationne depuis sur une base militaire émirienne. Gérard Pascal, chirurgien à l’hôpital Henri-Mondor de Créteil, membre du conseil d’administration de Médecins du monde, analyse l’impact de ce retard sur sa mission. C’est sa cinquième intervention sur un tremblement de terre, après l’Iran en 2003, le Pakistan en 2005, l’Indonésie en 2006, et Haïti en 2010.
Déjà quatre jours que le séisme a eu lieu. Quelles seront les conséquences de ce retard sur votre intervention au Népal ?
Plus les heures passent, moins on est utiles dans l’urgence immédiate. Après une catastrophe, une course contre la montre s’engage, et les volontaires mettent brutalement leur vie personnelle, professionnelle et même parfois matérielle entre parenthèses pour la gagner. Combien de personnes auraient pu être sauvées si on était arrivés dans les deux ou trois premiers jours, on ne peut le savoir. Cela dit, au plan chirurgical, l’objectif est de sauver la vie de victimes très gravement blessées, mais aussi de prendre en charge les plaies ou les blessures orthopédiques et traumatologiques. Il y a des lésions spécifiques aux gens ramassés sous les décombres, fracas osseux, des dégâts musculaires et nerveux très importants au niveau des membres, qu’il faut soigner très rapidement pour éviter l’infection et des séquelles graves. Les muscles écrasés libèrent des toxines et ces poisons endommagent très rapidement le rein, ce qui réclame une prise en charge extrêmement rapide pouvant aller jusqu’à la dialyse. Par ailleurs, dans des systèmes de santé précaires, une catastrophe naturelle de cette ampleur a des conséquences encore plus dramatiques. Les patients atteints d’une pathologie normale (grossesses à risque, maladies chroniques, péritonite, etc.) sont soudainement mis à l’écart des hôpitaux paralysés par l’urgence. Nous irons à leur rencontre avec des cliniques mobiles, des camions équipés pour des consultations et des soins.
Avez-vous tout le matériel avec vous ?
Le gros-porteur qui transporte le matériel est parti de la base militaire française de Vatry hier soir. Il a pu se poser sur la piste de Katmandou, mais il ne peut pas être déchargé, l’aéroport fait face à d’énormes problèmes de logistique. A Haïti, le système de santé local a été durablement affaibli par les conséquences de l’afflux massif d’aide d’urgence après le tremblement de terre de 2010.
Ne craignez-vous pas le même effet pervers au Népal ?
Il sera hors de question de marginaliser le système de santé existant. Nous travaillerons toujours en nous appuyant sur les autorités locales que nous connaissons bien pour travailler depuis longtemps au Népal sur un programme de santé maternelle. Notre partenariat doit s’avérer aussi équilibré et harmonieux que possible, malgré l’asymétrie de moyens. Notre arrivée en urgence, forts de notre puissance matérielle et logistique, ne doit pas nous faire négliger les relations humaines.
Que vous disent-ils les membres de votre équipe sur place sur l’évolution de la situation?
Les nouvelles sont inquiétantes, il y a beaucoup de blessés, beaucoup de morts sortis des décombres, et aussi un important déplacement de population. Les conditions climatiques sont mauvaises, les coulées de boue favorisent les infections digestives, dont la conséquence la plus terrifiante est le choléra. Certains cas auraient déjà été déclarés. Normalement, le «péril fécal» n’apparaît qu’au bout d’environ quinze jours, quand les gens finissent par boire de l’eau stagnante, et déclencher des diarrhées aiguës. Mais dans ces zones montagneuses, très enclavées, les fortes pluies accélèrent la survenue d’épidémies. A Katmandou, l’assistance internationale afflue mais est limitée par les capacités d’accueil de l’aéroport, qui est totalement engorgé.
Comment supportez-vous l’attente, dans ce hangar au milieu du désert?
Nos collègues des hôpitaux font beaucoup de sacrifices pour nous laisser partir. Chemin et fatalité faisant, on se fait à l’idée qu’on arrivera moins précocement que prévu. Si nous ne venons pas à eux, on sait que les habitants des zones très reculées n’auront pas d’autre accès aux soins. Dès que nous serons arrivés à Katmandou, nous partirons le plus vite pour le district de Sindhulpalchok, la zone la plus touchée par le séisme. Nous avons une base permanente à Chautara, l’hôpital est prêt à nous accueillir, et de là nous pourrons rayonner avec les cliniques mobiles. Notre détermination est intacte.