Huit personnes ont été fusillées peu après minuit ce mercredi, en Indonésie (19 heures, mardi, en France). Toutes étaient condamnées pour trafic de drogue. Ces exécutions marquent davantage le durcissement du pays en matière de lutte contre le narcotrafic, portant à 14 le nombre de personnes fusillées pour le même motif en 2015.
La loi indonésienne est réputée pour être très sévère quand il s'agit de drogue. Un combat contre les substances illicites qui, selon Yohanes Sulaiman, maître de conférences en politique et sécurité indonésienne interrogé par Libération, date de la dictature : «Déjà pendant l'époque de Suharto, le gouvernement pensait qu'il fallait se battre contre la drogue, et a décidé de la sanctionner de la peine capitale.»
L'actuel président Indonésien Joko Widodo, continue donc dans cet esprit, initié des dizaines d'années plus tôt. Il a estimé au moment de sa prise de fonctions que la lutte contre la drogue était une «urgence nationale». «Jokowi» a justifié cette situation par des chiffres : selon l'Université Indonésienne de recherche pour la santé, 4,5 millions d'Indonésiens consommeraient de la drogue et 1,2 million y serait accro. Des chiffres -bien qu'étant à relativiser- qui l'ont motivé à durcir le ton.
Pour Yohanes Sulaiman, c'est effectivement cette situation qui pousse les autorités à être plus rigoureuses : «Le gouvernement pense qu'il est face à une urgence, que de plus en plus de jeunes sont accros aux drogues dures ou douces. Dans le but de sauver la nation, il doit donc agir avec autorité, comme en condamnant à la peine de mort pour les trafiquants, dans le but d'envoyer un avertissement aux autres trafiquants.»
Des bonbons à l’héroïne
Et à voir certains messages postés par des Indonésiens et devenus très viraux sur Facebook, l'idée que le pays est face à un problème majeur semble bien appréhendée. L'un d'entre eux sur le réseau social : «J'ai visité personnellement des centres de désintoxication en Indonésie, et j'ai parlé à des hommes, femmes et ENFANTS à propos de leur combat contre leur addiction aux drogues, et je peux vous assurer que ce n'est PAS une blague. C'est un problème majeur pour ce beau pays peuplé de belles personnes. Des enfants sont utilisés par des trafiquants de drogue qui leur donnent des bonbons à l'héroïne pour s'assurer qu'ils deviennent accros avant leur adolescence. Certains d'entre eux n'avaient même pas 10 ans.»
Pour Yohanes Sulaiman, une explication plus complexe de cette intransigeance vis-à-vis de la drogue, est qu'elle sert à tous les présidents pour asseoir leur autorité : «Si le président sanctionne sévèrement le trafic de drogue, il apparaît comme autoritaire auprès des électeurs.» Susilo Bambang Yudhoyono, l'ancien président, qui n'était pas très favorable à la peine de mort pour les trafiquants, était d'ailleurs perçu dans le pays comme un responsable politique jugé parfois mou.
Décalage entre l’image souhaitée et la réalité
Pourtant, il semble y avoir un décalage entre l'image souhaitée par le président d'un pays intransigeant face aux drogues et la réalité. Dans certaines villes -souvent les plus touristiques- de l'Indonésie, comme à Kuta à Bali, les substances illégales circulent plutôt librement dans les rues, sans que les forces de l'ordre n'interviennent. A la tombée de la nuit, des dizaines de vendeurs à la sauvette alpaguent les touristes venus fréquenter les clubs de la ville avec quelques mots qu'ils répètent en boucle «Weed, weed! Mushrooms, mushrooms!» Certains d'entre eux ont même pignon sur rue.
Gede (1) un indonésien de 33 ans résident à Jakarta, est un consommateur régulier de cannabis. Pour lui, l'état d'urgence est à relativiser : «Je connais bien la loi, je sais qu'elle est très stricte, mais ça ne m'empêche pas de consommer. Si je me fais prendre, tant pis j'assumerai. Ici la drogue naturelle pousse partout, et c'est très facile de s'en procurer. Ce qui pose davantage problème, ce sont les drogues synthétiques, mais elles sont vraiment très peu fréquentes ici.» Selon Gede, le problème est ailleurs : «Je pense que le gouvernement devrait plutôt se concentrer sur l'économie et la corruption, plutôt que de dépenser des millions contre la drogue.»
(1) Le nom a été changé.