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Libération
Reportage

A Katmandou, «le grand cirque humanitaire»

Le Népal meurtridossier
Entre les secours qui atterrissent et les touristes qu'on évacue, c'est la cohue dans l'aéroport de la capitale népalaise, où la logistique ne suit pas.
A l'aéroport de Katmandou, le 28 avril. (Photo Navesh Chitrakar. Reuters)
publié le 30 avril 2015 à 11h30

Aéroport de Katmandou, ce jeudi, 6 heures du matin. Sur le tarmac trempé, des dizaines de palettes de matériel venant de l'étranger attendent un hypothétique transfert. Un Iliouchine 76 chinois a à peine décollé, un Airbus turc puis un appareil de la Royal Air Force arrivent. Un avion chinois, un français et un russe stationnent. Ils n'ont qu'une heure et demie pour décharger passagers et matériel, recharger et repartir. Selon une employée de l'aéroport, «6 ou 7» stationnent en permanence.

Visiblement, la logistique ne suit pas. Dans l'aérogare, c'est la cohue. Secouristes d'Istanbul, pédiatres russes, pompiers espagnols, humanitaires suisses ou norvégiens attendent leurs bagages. Les «chargés de com» des ONG prennent en photos leurs équipes, pressés par leurs bureaux européens qui réclament des images. Un duvet de haute montagne tourne seul pendant une heure sur un tapis, ses «-22°» affichés attisent les convoitises, surtout celles des secouristes qui devront dormir dehors dans les zones reculées les plus touchées. Personne n'ose le prendre, il rejoindra certainement les dizaines de bagages entassés dans un coin. Le «bureau des bagages perdus» explique que des Népalais de l'étranger, «trop impatients de retrouver leur famille, ont tout laissé ici, ils reviendront plus tard les chercher». Dans le tas, au milieu des valises, de petits cartons éventrés tamponnés «Karnataka Aid», du nom d'un Etat indien. Quelques policiers népalais passent, un masque chirurgical sur la figure. A part quelques dalles soulevées au détour d'un couloir, aucune trace du tremblement de terre ici. L'agitation n'en semble que plus surréaliste.

Mercredi, Katmandou a annoncé ne plus vouloir recevoir d'aide. Selon l'employée des bagages, «c'est parce que les avions indiens venaient sous prétexte d'apporter de l'aide, mais en fait, ne faisaient qu'évacuer leurs ressortissants, bloquant l'aéroport, et empêchant les secours d'atterrir». Le docteur Rajeshwar, du Fonds des Nations unies pour la population, confirme : «Après l'appel au secours du Népal, beaucoup de pays ont envoyé de l'aide mais n'ont pas été autorisés à atterrir. Notre gouvernement n'a pas la capacité de gérer l'aide, il a demandé d'arrêter d'envoyer des avions pendant quelques jours. Il y a eu des abus aussi, relatés dans la presse locale: par exemple la Pologne n'a fait qu'atterrir et évacuer les Polonais, sans rien débarquer. Le trafic commercial a été totalement interrompu, il a repris presque normalement depuis deux jours.»

Le premier avion envoyé par le Quai d'Orsay lundi soir, avec 20 tonnes de fret et une centaine de passagers, a fait les frais de cette désorganisation. Il a été dérouté sur une base militaire à Abou Dhabi. Après 36 heures sur place et plusieurs faux départs, dus à des problèmes d'autorisation (survol de l'Inde, atterrissage…), il est enfin arrivé à Katmandou jeudi matin. A son bord, une cinquantaine d'humanitaires de nombreuses ONG: Solidarités International (assainissement), Action contre la faim, Secours islamique France, Electriciens sans frontières, SOS Attitude, Pompiers humanitaires français, Handicap international ou encore Médecins du monde. Une équipe de quatre infirmiers et médecins d'Eprus, dépêchés par le ministère de la Santé, et des membres de la Croix-Rouge, médecin et psychologue, était chargée de raccompagner à Paris les Français évacués du Népal par le même avion. Pendant le vol aller, des couchettes médicalisées avaient déjà été installées sur les rangées latérales, protégées par un petit rideau, pour accueillir les blessés les plus graves. Dans le même avion, quelques journalistes et une trentaine de militaires de la Sécurité civile et leurs vingt tonnes de matériel de potabilisation d'eau, cruciale contre les infections digestives. Le deuxième Airbus envoyé par la France mardi, a pu lui atterrir mercredi sans encombre.

Atterrir à Katmandou est un problème, mais faire arriver le fret en est un autre, plus important encore. Le gros-porteur envoyé lui aussi par la France, chargé de 40 tonnes de tentes, bâches, médicaments, matériel médical, qui devait quitter Paris mardi a été retardé, puis dérouté sur Bakou (Azerbaïdjan), où il se trouvait encore jeudi midi. Pat Fuller, porte-parole de la Fédération internationale de la Croix-Rouge, explique que l’ONG attend encore son matériel pour envoyer ses équipes dans le district de Gorkha, proche de l’épicentre.

En attendant, c'est la guerre de la com. Chaque ONG communique sur ses projets, gonflant un peu les chiffres et gommant les ratés, cherchant à s'afficher comme «leader» sur une région. Depuis que Sindhulpalchok a été déclaré zone la plus touchée, c'est la course pour s'y imposer. Les ONG présentes sur des missions de longue durée dans la région peuvent s'appuyer sur leur réseau local. Les réunions de coordination organisées chaque jour à Katmandou par l'Ocha (Office for the Coordination of Humanitarian Affairs, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires) sont de plus encombrées. «De 5 ONG, on est passé à 10, 20 et maintenant 50, c'est le grand cirque humanitaire», raconte une des participantes, épuisée.

En ville, les quelques boutiques ouvertes qui vendent du matériel de montagne sont prises d'assaut, raconte un témoin qui a vu une file d'attente jusque dans la rue. En attendant leur matériel, les ONG multiplient les «évaluations» et «assessments», des missions légères de reconnaissance des besoins avant l'envoi des équipes. La population ne comprend pas ces sauveteurs en uniformes, venus les mains vides et qui repartent immédiatement, les laissant sans aide. «La situation se tend. Des humanitaires ont été attaqués, des enfants leur lancent des pierres», rapporte un coordinateur de mission.