Une centaine de personnes aux mines fatiguées et aux habits abîmés attendent en ligne sur la pelouse de Tundikhel, en plein centre de Katmandou. Au bout de cette queue, un médecin de l'antenne pakistanaise de l'association Helping Hand for Relief and Development les écoute pendant deux minutes, avant de les diriger vers son collègue chargé de la distribution de médicaments. Leur stock est maigre : antidouleurs, formules réhydratantes, antinauséeux… Une vieille dame ressort d'un pas lent de cette foule, une dizaine de pilules à la main. «Cela fait des jours que j'ai des nausées et mal aux articulations, décrit-elle. Et j'ai des douleurs au ventre.»
La grande esplanade de Tundikhel, kilomètre 0 de Katmandou qui sert en temps normal aux défilés miliaires, est devenue le plus grand camp de réfugiés de la capitale népalaise. Pendant les premiers jours qui ont suivi le tremblement de terre du samedi 25 avril, les services de secours estiment que plus de 100 000 personnes y ont échoué, se comprimant dans quelques tentes. Après le rapatriement des travailleurs indiens et l’exode de nombreux Népalais vers la campagne, il en resterait environ 5 000, regroupés sous de grandes bâches. Ceux-ci n’ont généralement nulle part où aller car leur maison peut être détruite, ils n’ont pas de proches en province ou sont trop faibles pour y aller. Ce qui était à l’origine un camp de déplacés est donc en train de se transformer en un camp de réfugiés à long terme, avec les problèmes de santé que cela engendre.
Saturé. Le principal concerne les contaminations à l'eau. «Pendant plusieurs jours, ils ont dû boire de l'eau d'une citerne à la pureté douteuse, s'inquiète Roshan Jha, interne à l'hôpital public Bir, qui a installé une table fournie de médicaments dans un coin du camp. Des bouteilles d'eau viennent d'être distribuées, mais il n'y en a pas assez pour tous.» Sa plus grande préoccupation concerne le manque d'hygiène, qui peut causer l'émergence de la fièvre typhoïde et du choléra. «Il n'y a que trois toilettes pour tous les sinistrés et tout le monde utilise les mêmes robinets, sans se laver correctement les mains, explique ce médecin. Si une personne contracte le choléra, cela va très vite se propager à tout le camp.»
Les épidémies ont pour l’instant été évitées et la fuite de beaucoup vers la province a sûrement aidé à contrôler cette hygiène. Il demeure que le système de santé népalais est déjà saturé et que les ONG étrangères peinent toujours à se déployer, le petit aéroport de Katmandou ne laissant atterrir les avions chargés de fret qu’au compte-gouttes. L’hôpital Bir, le seul entièrement public, situé en face de l’esplanade de Tundikhel, affronte difficilement l’afflux inédit de patients.
«Nous opérons entre 17 et 18 personnes par jour, soit quatre fois plus qu'habituellement», confirme le docteur Buland Thapa, chirurgien et coordinateur du service de traumatologie. Il poursuit : «Nous ne sommes pas prêts pour ce soudain flot. Le souci est qu'une nouvelle vague de patients arrive maintenant de la province, où il n'y a pas d'hôpital pour les opérer. Ils débarquent avec des plaies ouvertes depuis trois jours dans lesquelles des insectes se sont installés. Cela entraîne donc des amputations, des infections ou des gangrènes.»
De plus, un bâtiment de l'hôpital ayant été endommagé, tous les patients sont soignés dans la deuxième aile. La plupart des autres établissements de santé de Katmandou sont à moitié privés et semblent avoir réussi à surpasser la crise. Eloïse Dussably, une Française installée à Katmandou depuis cinq ans, est impressionnée par la mobilisation à l'hôpital Patan, dans le sud de la ville, qu'elle a visité en pleine crise. «Dès le premier jour, ils ont mis en place des codes couleur, de vert à rouge selon l'urgence, raconte-t-elle. Tout leur personnel avait été mobilisé et cela a offert une atmosphère rassurante. Ils étaient vraiment préparés. Par contre, il y a une grande peur des épidémies.»
«Source». Par chance, l'accès à l'eau est moins problématique dans les campagnes. Là où les fragiles et anciennes maisons se sont souvent effondrées et où les paysans ont peu à manger, l'eau de montagne coule à flots. «Notre source donne même deux fois plus qu'avant le séisme», s'étonne Rabindra Tamang, chef adjoint du village de Bardev, à deux heures de route de Katmandou. Un paradoxe qui parvient à arracher un sourire à cet homme âgé.