La parenthèse du vieux souverain Abdallah est bel et bien terminée. Place désormais aux jeunes faucons, même s’ils sont sous la coupe de son successeur, le roi Salmane, à peine moins âgé (79 ans), à peine en meilleure santé que le défunt monarque. Mais capable de prendre des décisions fondamentales pour l’avenir du royaume saoudien : en écartant l’héritier du trône, le prince Moqren ben Abdelaziz, pour le remplacer par l’un de ses neveux et en promouvant l’un de ses fils, le nouveau souverain a clairement bouleversé le jeu des clans au pouvoir. Plus qu’une révolution de palais, ce changement de générations apparaît comme historique.
Les hommes forts du royaume sont désormais le nouveau prince héritier, Mohammed ben Nayef, 55 ans, neveu du roi, désigné aussi vice-Premier ministre et qui conserve ses fonctions de ministre de l’Intérieur, et le prince Mohammed ben Salmane, âgé d’une trentaine d’années, déjà ministre de la Défense et président du Conseil économique et de développement, qui vient en plus d’être nommé futur prince héritier, ce qui en fait le deuxième dans l’ordre de succession.
Alliance informelle. C'est une percée sans précédent de la deuxième génération de la dynastie des Al-Saoud qui permet un rajeunissement au sommet d'une monarchie qui, sous Abdallah, apparaissait sclérosée et usée par l'exercice du pouvoir. Ce n'est sans doute pas un hasard si ce vaste remaniement intervient alors que le royaume est confronté à trois défis : la guerre au Yémen, la montée en puissance de l'Iran dans la région et la menace jihadiste incarnée à la fois par Al-Qaeda dans la péninsule Arabique (AQPA) et par l'Etat islamique. Tant Mohammed ben Nayef que Mohammed ben Salmane occupent des fonctions - l'Intérieur et la Défense - qui les placent en première ligne face aux menaces intérieures et extérieures. Ils devraient donc travailler en binôme à l'heure où la sécurité du royaume semble à nouveau menacée.
C’est aussi un retour en force à la tête de la riche monarchie pétrolière et premier exportateur de brut du clan des Soudairi. Soit les sept frères, et fils d’Ibn Saoud (il en eut 53) et de l’une de ses 22 femmes, Hassa bint Ahmed al-Soudairi, elle-même issue d’un clan puissant du Nedjd, le cœur de l’Arabie. De ces sept frères, qui avaient constitué une alliance informelle, quatre demeurent en vie, dont Salmane. Or, ce clan Soudairi avait perdu l’essentiel de son pouvoir sous Abdallah.
A l'inverse, les proches du défunt Abdallah (il est mort le 23 janvier) sortent du jeu les uns après les autres. Deux de ses fils avaient déjà été limogés, une semaine après l'intronisation de Salmane. Reste comme principale figure de ce clan déchu l'un des fils d'Abdallah, le prince Mutaib, à la tête de la puissante Garde nationale. Forte d'une centaine de milliers d'hommes, dont 25 000 sont immédiatement opérationnels, cette «garde blanche» est une armée privée, que commanda longtemps le défunt roi Abdallah quand il était prince héritier. Elle est issue des terribles Ikhwan, les forces militaro-religieuses tribales d'Ibn Saoud, symbole d'un fanatisme absolu, qui semèrent la terreur jusqu'en Irak. Elle doit son existence moderne directement à Abdallah depuis les années 60 et fut maintenue hors de l'influence du ministère de la Défense, constamment entre les mains des Soudairi. Aujourd'hui, elle demeure le dernier contre-pouvoir à ce clan. On ignore si le prince Mutaib, très isolé à ce poste, pourra rester encore longtemps à sa tête.
Egalement partant du gouvernement, le prince Saoud al-Fayçal, qui était ministre des Affaires étrangères depuis quarante ans et dont on sait qu'il est très malade. Là encore, il est remplacé par un diplomate plus jeune : l'ambassadeur à Washington Adel al-Jubeir, 53 ans, qui ne fait pas partie des clans royaux. «C'est la preuve qu'il a été choisi pour ses compétences, souligne un haut responsable diplomatique d'une monarchie du Golfe. C'est vrai qu'il ne connaît pas tout le monde, comme Saoud al-Fayçal, mais c'est un homme modeste, très respecté à Washington.»
Assassiner. La nouvelle ligne saoudienne est là aussi : tout faire pour regagner le cœur des Etats-Unis qui, avec Barack Obama, a penché un peu trop aux yeux des monarchies du Golfe du côté des «printemps arabes» et de l'Iran. Tous les nouveaux dirigeants sont d'ailleurs bien vus de Washington, dont le prince héritier : formé aux Etats-Unis, Ben Nayef plaît d'autant plus à la CIA et au Pentagone qu'il a été le champion de la lutte contre Al-Qaeda, qui avait tenté de l'assassiner en 2009.
Avec ce sang neuf, ces tempéraments de faucons et cette direction resserrée, qui ne craint pas de jouer en première ligne au Yémen, on voit se dessiner une nouvelle politique. Plus visible, plus lisible, plus agressive, en tout cas décidée à relever le défi iranien. «Jamais les Saoudiens n'accepteront d'avoir au Yémen avec les rebelles houthis l'équivalent du Hezbollah au Liban», souligne le même responsable du Golfe.