«Nous avons risqué un autre G8 de Gênes» : au lendemain de l'inauguration de l'Exposition universelle de Milan marquée par des scènes de guérilla urbaine dans le centre-ville, le ministre de l'Intérieur italien, Angelino Alfano, s'est félicité samedi que le «pire ait été évité».
Dès vendredi soir, les Milanais sont spontanément descendus dans la rue pour nettoyer les murs, réparer les vitrines brisées des dizaines de commerces et enlever les voitures brûlées par les autonomes. L’objectif était d’effacer au plus vite les traces des dévastations pour laisser place à cette kermesse consacrée à l’alimentation, qui devrait accueillir d’ici à octobre plus de 20 millions de visiteurs à la périphérie de la cité lombarde. Ils étaient déjà plusieurs centaines de milliers à se précipiter aux guichets de l’Expo à l’occasion des trois premiers jours d’ouverture. Reste que le gouvernement italien, qui mise sur l’événement pour relancer un pays en crise, envisage d’adopter des mesures de sécurité spéciales pour éviter tout nouvel incident.
Symboles. Vendredi, le cortège pacifique du 1er Mai, qui a réuni environ 20 000 personnes et qui contestait «un gaspillage d'argent public», s'est vite transformé en champ de bataille idéal pour les Black Blocs. Casqués, armés de bâtons et de cocktails Molotov, environ 700 d'entre eux, extrêmement bien organisés, ont pendant plus de deux heures multiplié les attaques contre «les symboles du capitalisme», les banques et les multinationales. Quelques policiers ont été frappés par les assaillants. Parmi eux, des Grecs, des Allemands et des Français déjà à l'œuvre dans les contestations du barrage de Sivens. Au final, cinq personnes ont été arrêtées en flagrant délit et une trentaine d'autres identifiées par la police. «Ils ont cherché à gâcher la fête. Mais l'esprit et la détermination de Milan sont plus forts que ces quelques fils à papa», a tonné le chef du gouvernement de centre-gauche, Matteo Renzi. Interviewé par une télévision, un jeune Milanais a admis s'être glissé au milieu des Black Blocs «pour faire entendre [leur] voix. Il est juste de tout casser». Retraité et en chaise roulante, l'ancien anar Lello Valitutti, qui a participé au cortège des autonomes, a ajouté : «L'exposition est une farce organisée par ceux qui nous affament. Si nous utilisons des méthodes non violentes, ils ne nous écoutent pas.»
Pour les militants pacifiques du comité No Expo, la manifestation du 1er Mai est en revanche une énorme occasion manquée. Les dévastations risquent de mettre au second plan toutes les critiques qui avaient alimenté les doutes autour de l'Expo ces derniers mois. En particulier les retards accumulés et l'explosion consécutive des coûts (ceux du pavillon italien sont passés de 63 à 92 millions d'euros), les contrats précaires des jeunes recrutés pour l'occasion, mais surtout les scandales de corruption et les infiltrations mafieuses dans les chantiers.
«Métaphore». Début 2014, le directeur général en charge des travaux de construction et du bureau des contrats pour l'Expo, Angelo Paris, accusé avec d'autres responsables d'avoir faussé des appels d'offres, avait notamment été contraint à la démission. Plusieurs hommes politiques, de gauche comme de droite, soupçonnés d'avoir encaissé des pots-de-vin avaient été appréhendés. «Des années de travail et de luttes ont été littéralement balayées», se sont plaints au lendemain des violences certains activistes de No Expo. Ces derniers ont reçu le soutien de nombreux militants No Tav, les opposants à la construction de la ligne TGV Lyon-Turin, qui, depuis plus de vingt ans, se mobilisent contre ce qu'ils considèrent une dilapidation des deniers publics dans un pays déjà surendetté.
L'écrivain milanais et prix Nobel Dario Fo a lui aussi fait part de sa colère : «Les violents n'ont rien à voir avec les milliers de manifestants No Expo qui voulaient attirer l'attention sur l'argent public que l'on aurait pu utiliser pour refaire des routes ou donner un toit aux sans-abri.» Des critiques que Matteo Renzi a balayé d'un revers de la main. Alors que nombre de pavillons étaient encore en chantier à quelques heures de l'ouverture, il s'est enthousiasmé : «L'Italie est beaucoup plus forte que ses peurs. Combien étaient-ils, ceux qui nous disaient "Vous n'y arriverez jamais" ? L'Expo est une métaphore de ce qui arrive à notre pays.»
Son ministre de l'Intérieur étudie en tout cas la possibilité de faire adopter une législation pour les manifestations similaire à celle qui réglemente les matchs de foot : «Quand il y a un risque de débordements, il sera interdit de défiler dans les centres-villes, comme quand on empêche les tifosi d'aller en déplacement», a-t-il affirmé. L'Expo va durer six mois, et les autorités italiennes redoutent qu'après les incidents de vendredi les autonomes soient tentés par un match retour.