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Libération
Reportage

Burundi : «On espère que l’armée nous défendra» de la police

Tandis que le président Nkurunziza brigue un troisième mandat interdit par la Constitution, les forces de l’ordre tirent à balles réelles sur les manifestants.
Un manifestant blessé par balles à Bujumbura lundi. Au moins trois personnes ont été tuées et 45 blessés ce jour. (Photo Jérôme Delay. AP)
publié le 4 mai 2015 à 20h26

Une balle dans l’épaule, un homme perd son sang affalé dans un caniveau de Nyakabiga, un faubourg de la capitale du Burundi. La police vient de lancer un deuxième assaut à balles réelles contre les manifestants qui s’éparpillent dans les rues et sur les rives de la Ntahangwa, la rivière qui traverse le nord de la ville. Une heure auparavant, ces jeunes gars en claquettes et armés de pierres avaient pris le boulevard du 28-Novembre et y érigeaient une nouvelle barricade. Alors qu’un officier militaire s’efforçait en vain de faire taire les fusils, la foule d’étudiants, d’employés, d’ouvriers, d’enseignants, de grooms et de chômeurs s’était mise à chanter et danser sous le nez de policiers de leur âge. La seconde charge s’est produite sans tirs de sommation.

Milice. L'ambulance tarde à venir pour emporter l'homme qui agonise. Selon la Croix-Rouge burundaise, ce seul lundi, jour le plus meurtrier, au moins 3 personnes ont été tuées et 45 blessées, ainsi que 15 agents, selon la police. Pour la première fois, des manifestants ont rapidement atteint le centre-ville et des affrontements ont éclaté en province. Après un week-end de «trêve» décrété par l'opposition le temps d'inhumer les six morts de la semaine passée, la manifestation avait commencé sans heurts. Et même dans la joie à Nyakabiga, foyer de la contestation contre le président Pierre Nkurunziza, qui brigue un troisième mandat pourtant interdit par les accords de paix d'Arusha, base de la Constitution.

Depuis une semaine, les quartiers jugés «en insurrection» par le gouvernement s'organisent, peaufinent leur discours de «non-violence», se cherchent des leaders et se coordonnent rue par rue. La nuit, les hommes font des rondes, donnent un coup de sifflet en cas de présence policière ou s'ils repèrent des membres d'Imbonerakure, la jeunesse du parti au pouvoir (le CNDD-FDD), accusée d'être une milice par la société civile et les Nations unies.

Le jour, les mêmes hommes rameutent les habitants restés devant leur porte, distribuent des tracts comparant le président burundais à son homologue burkinabé, chassé du pouvoir par la rue et l'armée en février, et tentent d'atteindre le centre de la capitale aux accès verrouillés par la police. Des habitants de quartiers voisins les rejoignent pour tenter de rallier le centre-ville à partir de ces enclaves coupées par des barricades de cailloux, de branches et de pneus brûlés. Toute la journée, policiers et militaires se regardent en chiens de faïence, les premiers honnis, les seconds acclamés par les manifestants. «Nous espérons que l'armée nous défendra, dit Athanase, enseignant qui dirige le "comité" de la commune. Si elle ne le fait pas, on continuera jusqu'à ce que le président s'en aille.»

Ce week-end, le ministre de la Défense a rappelé que «les institutions actuelles du Burundi émanent des accords d'Arusha». Le ministre de la Sécurité publique a, lui, dit qu'il ne voyait plus des manifestants mais «des terroristes et des ennemis du pays». «Le dialogue pourra arrêter tout ça, espère quand même un agent de sécurité pendant que des étudiants traversent la rue une valise sur la tête, en direction de l'intérieur du pays ou du Rwanda. Hier, on a livré deux Imbonerakure à l'armée parce qu'ils donnent les noms des manifestants à la police. Il y en a même à qui on a fourni des uniformes et ils nous tirent dessus.»

«Misère». Quelques femmes viennent d'apparaître dans la foule qui grossit ; les autres ont déjà quitté la ville avec leurs enfants ou se terrent chez elles. «Les accords d'Arusha nous avaient sortis des problèmes ethniques, explique Marie-Rose, vendeuse dans une boulangerie. Mais ce n'est pas seulement la question du troisième mandat : les gens sont dans la misère alors qu'ils ont fait des études et, pendant ce temps, un petit groupe de personnes autour du Président construit des étages à ses maisons.» Marie-Rose n'a plus le temps de parler, il faut courir. Des adolescents ramassent les douilles, montrent les traces de sang : «Regardez, on nous a tiré dessus !»

De l'autre côté de Bujumbura, devant le commissariat central, les familles des personnes arrêtées pour «insurrection» attendent de donner à manger aux détenus ou de prendre de leurs nouvelles. Selon les chiffres donnés par le porte-parole de la police, plus de 600 personnes ont été arrêtées en une semaine. Une femme au regard inquiet attend des nouvelles de son fils qu'elle a croisé le temps de lui donner à manger ; un vieil homme s'inquiète du sort de son neveu arrêté dimanche, «alors qu'il revenait simplement de la messe». «Il portait ses chaussures de fête, pas des chaussures de manifestant ! clame-t-il, accoudé à un kiosque fermé. On ne sait même pas qui a déjà été transféré à la prison centrale. Ils risquent tous dix à quinze ans de prison.»