C'est le quotidien The Independent qui évoquait avec effroi la chose dimanche : il pourrait y avoir «2,5 culs anoblis» par siège à la Chambre des lords après ces élections. Comment s'y caseront-ils ? Il n'y a pour l'instant que 400 places dans cette Chambre haute aux pouvoirs limités, alors que les heureux élus sont déjà 840 (contre 708 il y a dix ans). Mais ils pourraient monter à 1 000, selon un porte-parole du Labour. Car si le travailliste Ed Miliband devient Premier ministre, il voudra rééquilibrer sa composition. Et en Grande-Bretagne, c'est très simple : pas d'élection, même au suffrage indirect comme pour le Sénat français, mais de simples nominations.
Dérive. Les Premiers ministres sont les seuls habilités à les effectuer, et ils les multiplient. David Cameron, le conservateur sortant, a nommé 40 lords en moyenne chaque année depuis 2010: un record depuis le début du système en 1958. Gordon Brown (travailliste) en était plus modestement à 12, John Major (conservateur) à 25, Margaret Thatcher (tories) à 18, Tony Blair (travailliste) à 37 dans son second mandat.
Et cette année ? Après les élections de ce jeudi, l'effectif total pourrait augmenter de 10%, selon The Independent, pour qui «le bureau politique chinois est la seule assemblée législative plus peuplée». Au rythme actuel, il y aura 2 200 lords en 2025, selon une étude du think tank Constitution Unit de UCL (University College London), publiée en février.
La pratique finit par excéder : «Un très grand nombre de lords est d'accord pour reconnaître que nous sommes trop nombreux», a déclaré lord Gus O'Donnell. En 2013, la baronne Frances D'Souza, Lord speaker (présidente) de la Chambre, expliquait que, faute de réforme, l'institution allait «s'effondrer sous son propre poids».
Le prochain Premier ministre peut, s’il le décide, mettre fin à cette dérive. Mais en aura-t-il le courage ? Les conservateurs n’ont annoncé aucune réforme. Les travaillistes ont placé dans leur programme un vague projet pour transformer la Chambre haute en un Sénat démocratiquement élu des nations et des régions, tout en supprimant les charges héréditaires. Le nouveau modèle assurerait une plus juste représentation territoriale. Mais le feront-ils ? La même promesse avait été avancée par le Labour en 1997, puis aussi vite oubliée. Après le scrutin de 2010, les libéraux-démocrates ont poussé pour une réforme profonde, imposant d’élire 80% des lords et de limiter leur nombre à 450. Mais devant l’opposition de certains alliés conservateurs, elle a été abandonnée en 2012, comme toutes celles proposées depuis… 1911.
«Poubelle». «Chaque projet de réforme de la Chambre des lords pendant les cent dernières années a échoué, généralement en raison de l'inflexibilité de ses membres qui défendent leurs propres intérêts», notent deux chercheurs, Richard Reid et Patrick Dunleavy, sur le blog Democraticaudit. Même la réforme de 1999, qui a supprimé la plupart des postes héréditaires (il en reste 92) n'a pas arrêté l'inflation : depuis, la Chambre a enflé d'un tiers.
Néanmoins, la pression est forte pour changer ce «système corrompu», selon le Guardian (centre gauche) qui appelait, en février, à le «mettre à la poubelle», ajoutant : «Ce serait un scandale si M.Cameron, M.Milliband ou tout autre futur Premier ministre continuaient sur cette voie.» Sachant que toute réforme prendra du temps, les chercheurs de UCL proposaient une solution médiane : qu'avant les élections, les principaux partis s'entendent sur un nombre maximal de 550 lords. Ça n'a pas été fait.