Les riches ont un problème. Ils sont de plus en plus riches. Avant, il n'y a pas si longtemps, on les appelait simplement les riches. Puis, il y a peu, ils sont devenus les superriches. Maintenant, on dit les überriches (les sur-riches). Et le Royaume-Uni est le pays au monde, à part les Etats-Unis, qui les attire le plus. Cela fait un moment que ces riches sont de toute façon outrageusement fortunés, mais le problème, c'est qu'il faut être aujourd'hui de plus en plus riche pour faire partie de la liste des 1 000 personnes les plus riches au Royaume-Uni. Sur ce millier de personnes, 117 sont des milliardaires, soit plus par habitant que dans n'importe quel pays développé. La France en accueille 43. En fait, il faut disposer en 2015 d'au moins 100 millions de livres (136 millions d'euros) pour entrer dans le club très sélect de la «rich list» publiée tous les ans en avril par le Sunday Times. L'an dernier, 85 millions suffisaient.
Flot. Récession, ralentissement de l'économie, austérité, coupes dans les budgets, rien n'y a fait, rien n'a eu le moindre impact sur les plus riches, qui ont, ces dernières années, continué de s'enrichir. Seule l'année 2009 a un peu freiné le flot, avant que cela ne reprenne aussi sec en 2010. Par contraste, le revenu moyen du Britannique moyen n'a, ces cinq dernières années, presque ou pas du tout augmenté. Et les plus pauvres sont devenus encore plus pauvres. Les visites dans les banques alimentaires ont augmenté de 18% en 2014-2015 par rapport à l'année précédente. Trussel Trust, qui gère 445 banques alimentaires dans le pays, a ainsi fourni cette année de la nourriture d'urgence pour trois jours à près de 1,1 million de personnes.
L'économie britannique est en croissance, le chômage a fortement baissé - il se situe à 5,6% de la population - et des emplois ont été créés. Mais ces derniers ne sont pas tous stables. Certains sont des contrats «zéro heure», qui permettent à un employeur de ne pas licencier un salarié mais de ne l'employer que s'il a du travail à lui offrir et de ne lui payer que les heures travaillées. Selon l'Office national des statistiques (ONS), un emploi sur dix-sept ne garantit aucune heure. Parallèlement, les salaires n'ont pas ou que très peu augmenté, alors que le coût de la vie a, lui, continué à grimper. «Le Royaume-Uni est désormais l'un des pays au monde où les inégalités sont les plus prononcées et ce fait devrait nous embarrasser et nous faire honte», a ainsi estimé Duncan Exley, directeur général de l'organisation caritative Equality Trust. La fortune totale des 1 000 personnes les plus riches du Royaume-Uni a augmenté de 5,4% l'an dernier, pour atteindre un record de 547,13 milliards de livres sterling. Cette somme représente plus que la fortune combinée des 40% des foyers les plus pauvres du pays, soit environ 25,6 millions de personnes. Ces pauvres disposent, ensemble, de 452 milliards de livres, selon un rapport de l'ONS. En fait, par rapport à il y a dix ans, le top 1% de la population britannique s'est enrichi de 100%.
Manoirs. Tous ces riches ne sont pas britanniques, mais tous sont attirés par le Royaume-Uni. Un régime fiscal avantageux pour les grosses fortunes (notamment avec le statut de non-domicilié qui permet à un étranger de payer peu d'impôts sur place, et que veut abolir le travailliste Ed Miliband), la langue anglaise, un système légal renommé… la City attire beaucoup de fortunes étrangères.
Avant, on parlait de l'«allée des millionnaires». Maintenant, on dit «l'allée des milliardaires». En fait, elles sont deux. Il y a, entre Notting Hill et Kensington, la coquette Kensington Palace Gardens, bordée de grands arbres et de manoirs immenses. Et, plus au nord, entre Highgate et Hampstead, on trouve aussi Bishops Avenue. Forcément, la corrélation entre ces avenues et la rich list du Sunday Times est forte. L'Américain d'origine ukrainienne Len Blavatnik, par exemple, numéro 1 du classement avec une fortune estimée à 13,17 milliards de livres grâce à ses investissements dans les médias et la musique (il possède entre autres Warner Music), a choisi Kensington Palace Gardens comme «home sweet home». Il y a acheté une propriété pour environ 41 millions de livres qu'il n'en finit pas de rénover. La moyenne de la valeur d'une maison au Royaume-Uni est de 249 000 livres. Mais attention, pas de Ferrari rouge ou Lamborghini jaune dans la rue, l'überriche la joue discrète. Les Ferrari sont cachées dans les garages. En revanche, les gardes et les vigiles pullulent devant les portails, mais l'avenue abrite aussi un grand nombre de résidences d'ambassades, dont celle de France.
Il fut un temps, au cours du XXe siècle, où l'entretien de ces manoirs, construits à partir de 1840, était devenu trop onéreux pour des personnes individuelles. Ce sont donc des Etats qui s'étaient portés acquéreurs. Et puis, depuis une vingtaine d'années, les fortunes personnelles ont permis à certains de les acheter et de les entretenir. Tamara Ecclestone, fille de Bernie Ecclestone, le magnat de la Formule 1 et 33e sur la rich list, habite l'avenue, comme l'oligarque russe Roman Abramovich, propriétaire du club de foot de Chelsea (10e). Il y a aussi le roi de l'acier indien Lakshmi Mittal (7e), qui a même acheté en tout trois résidences, pour y loger ses enfants. Et, bien entendu, des membres de la famille royale saoudienne et du Qatar. L'endroit est calme, discret à souhait, et bien surveillé. Logique puisque, outre les ambassades, le bas de l'avenue borde la résidence royale de Kensington Palace. C'est là que la nouvelle petite princesse Charlotte Elizabeth Diana de Cambridge a passé ses premières nuits. Son arrière-grand-mère, la reine Elizabeth II, vient d'ailleurs d'être expulsée, pour la première fois de sa vie, des 300 premières fortunes de ses propres sujets, un vrai scandale.