Débats télévisés, dossiers spéciaux dans la presse, expositions consacrées aux derniers jours de la guerre… Les Allemands commémorent avec un élan inhabituel la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pour la première fois, un historien, Heinrich August Winkler, prendra la parole devant le Bundestag, pour commémorer la fin de la guerre alors que plusieurs politiciens ont qualifié les Soviétiques de «libérateurs» de l’Allemagne.
Ce 8 mai, le projecteur est également mis sur les victimes allemandes de la fin du conflit. A Berlin, des photos géantes sont exposées en six lieux historiques, sortes de fenêtres en noir et blanc sur le printemps 45 dans la capitale allemande montrant notamment femmes et enfants fuyant l'avancée du front… Nombre d'entre eux sont morts de faim, de froid ou de mauvais traitements infligés au cours de ce qui fut «le plus grand transfert de population de l'histoire de l'humanité», selon l'historien américain Ray. M. Douglas dans un ouvrage récent consacré au sujet, les Expulsés : 500 000 à 1,5 million d'Allemands «ethniques», principalement des vieillards, des femmes et des enfants, sont morts en fuyant les Pays baltes, la Roumanie, la Hongrie, la Yougoslavie, la Pologne et la Tchécoslovaquie, où ils étaient installés parfois depuis plusieurs générations. Au total, 13 millions d'Allemands ont été déplacés. Quelle place donner dans la mémoire collective aux victimes civiles des bombardements alliés, aux Allemandes violées par les soldats américains, français et surtout soviétiques (1 million de femmes, jeunes filles et même fillettes allemandes auraient été violées par les Russes à la fin de la guerre), aux expulsés ayant tout perdu dans leur fuite, aux prisonniers allemands des goulags dont 1,5 million ne sont jamais revenus ? «Les Allemands, insiste Douglas, furent aussi des victimes du nazisme» en dehors de la RFA des années 50, où l'insistance sur les souffrances endurées par l'Allemagne pendant et après la guerre servait à occulter le mal que les Allemands avaient infligé au reste de l'Europe, en particulier à la population juive, l'expulsion des Volksdeustche (les Allemands ethniques) n'a longtemps suscité, au mieux, que de la condescendance.
La perception de ce chapitre de l'histoire allemande a lentement changé avec la chute du Mur. «Aujourd'hui, la culpabilité de l'Allemagne est communément acceptée dans le pays, explique le politologue Hajo Funke de l'Université libre de Berlin. Le débat qu'on a connu voici trente ans encore, de savoir qui de Hitler ou de Staline était le plus coupable, est fini. C'est pourquoi il est désormais possible d'évoquer aussi les victimes allemandes du conflit, sans avoir à les mettre face-à-face avec les victimes de l'Holocauste. Il est désormais possible de donner une voix aux victimes allemandes.»