Menu
Libération
Récit

Langtang, le «paradis» du trekking dévasté

Le Népal meurtridossier
Après le séisme du 25 avril, la vallée népalaise a été touchée par une avalanche mortelle. Le tourisme sportif était un atout de la région.
Dans la vallée de Langtang, très prisée par les randonneurs, sur les ruines du village dévasté par le séisme du 25 avril et l'avalanche qui a suivi. (Photo Nepal Army. AFP)
publié le 7 mai 2015 à 19h16

Depuis l’hélicoptère qui l’arrache enfin, avec sa compagne Pauline et leur fille Margaux, deux ans et demi, du village d’altitude dévasté où ils campaient depuis des jours dans l’angoisse, Aymeric Clouet, guide et alpiniste haut-savoyard, a soudain une vision d’horreur. Là où se trouvait le bourg de Langtang, quelques jours auparavant, il n’y a plus rien : «Cela a été une vision fugitive, hallucinante, raconte-t-il, peinant à trouver les mots. L’avalanche remplissait toute la vallée. Plus une maison. Sur des centaines de mètres, à la place du village, il n’y avait plus qu’une immense tâche grise, large, vallonnée.»

La vallée de Langtang, à une cinquantaine de kilomètres au nord de Katmandou, près de la frontière tibétaine, était un des hauts lieux du trekking au Népal. Dans le parc national de Langtang, créé dès 1976, cette vallée perchée, mais d'accès facile depuis la capitale, offrait une plongée au cœur d'un Himalaya de carte postale, de culture tibétaine. On n'y accède qu'à pied, il n'y a pas de route. Forêt, animaux sauvages, beaux hameaux, champs en terrasse et troupeaux de yaks, patrimoine religieux, alpages et glaciers, trekking peaks de 5 000 m d'altitude, majestueux sommets de 7 000 m, elle avait tout pour séduire. Ses quelque 800 habitants, tous bouddhistes d'origine tibétaine, vivaient largement du tourisme, proposant sourires, gîte et couvert aux dizaines de trekkeurs remontant chaque jour les raides sentiers la vallée, au printemps et à l'automne.

Iréel. Le séisme du 25 avril a tout brisé. Le caractère encaissé de la vallée, surmontée de hauts versants et de bassins glaciaires, a causé sa perte. Le massif était exceptionnellement enneigé en ce mois d'avril, alors, en même temps qu'il détruisait tous les hameaux de la vallée, le tremblement de terre a déclenché des avalanches hors normes depuis les hauteurs, ainsi que d'innombrables éboulements. Une énorme avalanche de neige, très vite mêlée de rochers et de terre, est descendue des sommets et d'un cirque glaciaire surplombant le chef-lieu de la vallée, Langtang. 150 maisons et 55 lodges, où se trouvaient ce jour-là sans doute la moitié des 435 Népalais officiellement domiciliés au village et des dizaines de touristes, peut-être une centaine, ont été pulvérisés puis engloutis sous la boue mêlée de neige. Une seule bâtisse, construite sous un rocher en haut du bourg, a été épargnée, avec ses cinq occupants, dont deux enfants. Seuls survivants d'un village martyr.

Pour tous ceux qui ont séjourné à Langtang, le drame est irréel, inconcevable. Aymeric Clouet, qui a pourtant constaté de ses yeux l'ampleur de la coulée, peine à faire le lien entre cet amas de terre et le village où il avait passé quelques heures le 20 avril : «C'était le premier et le seul vrai village de la vallée, son centre névralgique. Il n'était pas plein en ce début de saison, les habitants se disséminent un peu partout dans la vallée, parsemée de lodges, mais il y avait du monde, de la vie…» En remontant à travers les terrasses cultivées, on arrivait tout d'abord aux lodges, les plus grosses maisons, récentes, construites en contrebas du village. Au-dessus, le vieux bourg. «Nous avons remonté les ruelles jusqu'à une échoppe qui vendait un fromage de yak, une sorte de gruyère, raconte Aymeric. Le fromager, hypersympa, nous avait servi sa spécialité : du pain maison grillé avec du fromage fondu. Un rêve pour des Français», sourit-il… avant de se figer dans le silence : la fromagerie, comme le fromager et sa famille, ont été anéantis.

Avec sa compagne et leur fille, Aymeric avait pris ses quartiers le 21 avril dans le dernier hameau de la vallée, Kyanjing Gompa, ancienne estive de Langtang à 3 850 mètres d'altitude. Autour de la Gompa, édifice bouddhiste multiséculaire abritant des reliques, quelque 25 lodges avaient poussé. A la belle saison, les habitants de Langtang venaient s'y installer pour accueillir les touristes. Au-dessus, à près de 5 kilomètres, défendu par un long glacier plat, trône le seigneur de la vallée, le Langtang Lirung, 7 246 mètres. «Nous étions dans le lodge de mon ami Gyalbu, de Langtang, précise Aymeric. Le 25, peu avant midi, tout s'est mis à trembler. Doucement d'abord, mais nous avons immédiatement compris. J'ai attrapé Margaux et on est sortis. Ça secouait de plus en plus fort. Tout ce qui n'était pas solide était jeté à terre. Pour tenir debout, il fallait écarter les jambes et fléchir les genoux. Devant moi, les maisons montaient et descendaient, les pierres des murs se désolidarisaient pour se remettre en place en retombant. Soudain, un type a hurlé. J'ai levé les yeux vers le glacier et j'ai vu arriver un nuage blanc monstrueux, haut de 500 mètres.»

Ouragan. Le Langtang Lirung vient de se délester de ses énormes masses de neige. Le guide ne se fait aucune illusion : «Aucun espoir.» Il se jette derrière le pignon d'une maison encore debout, sa fille sous lui pour la protéger. Quelques secondes plus tard, l'avalanche frappe, ouragan chargé de neige lourde. «Ça augmente, ça augmente, j'ai du mal à respirer, j'enfouis le visage de Margaux dans ma veste. Bruits de tôle, de pierres, autour de nous, tout est arraché. Je me dis que le mur va s'effondrer sur nous. L'avalanche ? Le tremblement de terre ? Je ne sais plus. Ça dure une éternité.»

Puis, enfin, ça se calme. Pauline est là, contusionnée mais vivante, couverte comme sa fille d’une neige épaisse et collante. Miracle, dans le hameau ravagé, on ne relève parmi les 150 personnes présentes que 2 morts et une dizaine de blessés graves. A quelques kilomètres plus bas, Langtang, situé juste au-dessous des parois, n’a pas eu cette chance. L’avalanche qui l’a frappée était de toute autre nature et n’a laissé aucune chance aux habitants. Les secouristes espagnols et népalais au travail sur le site ces derniers jours ont pu extraire une soixantaine de corps, dont ceux de 13 touristes, pour la plupart non identifiés à cette heure. On ne connaîtra sans doute jamais le bilan précis de la catastrophe. 200 morts ? 300 ? Parmi eux, vraisemblablement, au moins 6 Français.

Des associations, dont celle d’Aymeric et Pauline, se mobilisent pour soutenir les survivants de la vallée de Langtang et préparer la reconstruction. Infos : langtangreconstruction.wordpress.com et tibetainsetpeuplesdelhimalaya.unblog.fr