Seul point de passage vers la Chine, le Sindhupalchok est réputé pour ses nombreux trafics (armes, drogue, êtres humains), et pour la corruption de ses édiles. Depuis fin avril, il est aussi officiellement la zone la plus sinistrée du Népal : comme tout le pays, il a durement ressenti le grand tremblement de terre du 25 avril, et était le lendemain à l’épicentre d’un deuxième séisme de 6,8. Ses 400000 habitants sont disséminés dans la montagne jusqu’à la frontière tibétaine, souvent à plusieurs heures de marche de la piste carrossable.
Bastion de la guérilla pendant la guerre civile de 1996 à 2006, le Sindhupalchok a toujours un élu maoïste au parlement. C'est sur ses routes que des convois humanitaires ont été agressés après le tremblement de terre. Le chef du district, molesté lui aussi, a fait appel aux forces spéciales pour distribuer l'aide et ramener le calme. Libération y a rencontré Mohamed Umir, prisonnier égaré, Karma, star engagée, et Devo Ghali, éleveuse sans toit.
Mohamed Umir : «Je me suis réfugié au poste de police»
Mohamed Umir, 60 ans, amaigri, erre sur le stade de Chautara, cherchant quelqu’un à qui raconter son histoire
(photo DR).
«La prison de Sindhupalchok s’est écroulée pendant le tremblement de terre. Nous étions 238, les 236 autres prisonniers se sont évadés, des meurtriers, des trafiquants, des voleurs, qui venaient du Népal, du Tibet, de Chine, d'Inde, et même un Nigérian. J’ai attrapé une maladie respiratoire en prison, je n’ai pas d’argent, et nulle part où aller. Avec un autre Pakistanais, malade lui aussi, nous nous sommes réfugiés au poste de police. J’étais enfermé illégalement depuis cinq ans. Avant, je travaillais au tribunal de Karachi, comme assistant. J’ai cinq filles à élever, je ne gagnais pas assez, on m’a proposé de faire du commerce de cuir avec le Népal. Il y a eu une descente de police à mon hôtel, mes papiers étaient en règle mais ils m’ont confisqué mon stock et m’ont envoyé en prison. Je n’ai jamais été jugé. Je n’ai rien à me reprocher. J’attends l’aide de mon pays pour rentrer chez moi.»
Contactée, l’ambassade du Pakistan à Katmandou a envoyé une voiture chercher ses deux ressortissants. En s’inquiétant de l’imbroglio diplomatique que générerait leur éventuel rapatriement.
Karma Shakya : «Mes amis français ont été piégés dans la tour»
Le jeune homme est habillé de pied en cap pour la montagne. Sac à dos, lunettes de soleil et casquette, il consulte son Ipad, assis sur le seuil d’une boutique de Khadichour. Comme de nombreux jeunes intellectuels, Karma Shakya, star du cinéma népalais
(photo DR),
a organisé des secours pour pallier l’inaction de son gouvernement.
«Mon dernier film, Resham Filili, une comédie romantique, est sorti vendredi (le 24 avril, ndlr), il a très bien démarré. Après des années de guerre civile et de galère, les Népalais avaient besoin de rigoler. Le samedi matin, j'étais avec des amis, dont un couple français - la jeune femme était monteuse sur un film présenté à Cannes. Ils nous ont quittés vers 10h30 pour aller visiter le temple des singes. Je buvais un thé quand, une heure après, la terre a tremblé. Ça a été le chaos, tout le monde paniquait. Il y avait une opération de don du sang à Durbar Square, le temple de Kasthamandap s'est écroulé sur les donneurs. J'ai aidé à déblayer les gravats, on a sorti dix ou douze corps des décombres et un survivant, mais il est mort sur la route de l'hôpital. Mes amis français, eux, ont été piégés dans la tour Dharhara. Ils sont morts. Deux jours après, j'ai pris la route du Sindhupalchok avec un camion et une dizaine d'amis, népalais et étrangers. J'arrive d'un village à deux heures de marche d'ici. J'ai compté soixante maisons détruites, des gens sont blessés et personne n'est venu les voir encore. Je vais chercher du renfort à Katmandou.»
Devo Kumare Ghali : «Je me suis accrochée à un poteau»
Devo Kumare Ghali est assise sur une butte dans le petit camp de déplacés de Chautara, un petit garçon de 5 ans agrippé à ses jambes.
«Je préparais de la nourriture pour les bêtes. Mon petit-neveu, que j’élève seule depuis que sa mère est partie avec un autre homme, jouait à côté de moi. Soudain le sol s’est soulevé et le mur a commencé à s’écrouler. J’ai attrapé le petit, je l’ai serré très fort et avec l’autre bras je me suis accrochée à un poteau de l’autre côté de la pièce. Quand ça s’est un peu calmé, j’ai couru dehors, juste à temps avant que le reste de la maison ne tombe. Ma vache et mes quatre chèvres sont saines et sauves, leur abri est tombé mais il était très léger. Depuis, je vis sous une bâche avec mon petit-neveu, on fait nos besoins dehors et bientôt ce sera la mousson. Quand la nature veut nous faire du mal, on ne peut rien faire.»