Explosions, tirs en rafales : une ville en état de siège. Samedi 9 mai au petit matin, dans le quartier de Divo Naselje, à Kumanovo, dans le nord de la République de Macédoine, les habitants albanais, macédoniens et roms se terraient dans leur maison. Les unités de forces spéciales de la police macédonienne traquaient, selon un porte-parole du ministère de l'Intérieur, «un groupe armé venu d'un pays voisin» dans le but de perpétrer «une attaque terroriste contre les institutions de l'Etat, en bénéficiant d'un soutien sur place». Si la police n'a pas précisé de quel pays il s'agissait, la presse locale a tout de suite montré du doigt le Kosovo, situé à une quinzaine de kilomètres de Kumanovo, et dont la majorité de la population est albanaise.
Il y a trois semaines en effet, dans la nuit du 20 au 21 avril, un poste de police installé à Gosince, à la frontière kosovare, avait été attaqué par un mystérieux groupe d’une quarantaine d’hommes se revendiquant de l’UÇK, l’Armée de libération nationale albanaise.
Stop. Depuis plusieurs mois, un climat délétère règne en Macédoine. Zoran Zaev, le chef du principal parti d'opposition (SDSM), accuse le pouvoir de corruption et d'avoir mis sur écoute quelque 20 000 personnes, dont des politiciens, des journalistes et des dignitaires religieux. Chaque semaine, ses conférences de presse apportent leur lot de révélations, provoquant l'effet d'une «bombe» au sein de l'opinion publique. Mardi 5 mai, après de nouvelles divulgations sur le meurtre par la police d'un étudiant en 2011, la jeunesse de Skopje est descendue dans la rue pour dénoncer l'attitude du Premier ministre, Nikola Gruevski, de la ministre de l'Intérieur, Gordana Jankulovska, et du directeur de l'Agence de sécurité et de contre-espionnage Sasko Mijalkov. La manifestation a dégénéré en émeute. Le lendemain, les étudiants se sont de nouveau rassemblés dans le centre de la capitale pour dire stop aux violences policières. Depuis, des sit-in sont organisés tous les jours à 18 heures à Skopje et dans d'autres villes du pays.
Les combats de samedi à Kumanovo ont fait au moins huit morts et une trentaine de blessés dans les rangs de la police, et quatorze morts parmi les «terroristes». Selon le ministère de l'Intérieur, une vingtaine de membres du groupe armé, des Albanais du Kosovo et de Macédoine connus des services de police, se sont rendus aux forces de l'ordre. Mais certains ont continué de résister. Dimanche, la ville était toujours le théâtre de scènes de guérilla urbaine. Le quartier où se déroulaient les affrontements a été évacué. Des centaines d'habitants se sont réfugiés en Serbie, dans la vallée de Presevo, une région à majorité albanaise. A Skopje, les autorités ont appelé la population au calme. Les dirigeants politiques de la communauté albanaise de Macédoine se sont quant à eux empressés de condamner «les tentatives de déstabilisation de notre pays».
«Renverser». L'Albanie et le Kosovo ont lancé des appels au calme, Pristina engageant au «dialogue politique». Seule la première force de l'opposition parlementaire kosovare, le mouvement nationaliste Vetëvendosje !, a enjoint les Albanais de manifester à Skopje pour «renverser le régime de Gruevski».
A qui le crime profite ? Pour Nano Ruzin, ex-ambassadeur de Macédoine auprès de l'Otan, l'attaque de Kumanovo serait destinée à «créer un sentiment d'unité nationale, redorer le blason de la police et détourner l'attention des turpitudes du gouvernement». Dimanche après-midi, le Président, Gjorge Ivanov, a convoqué un conseil de sécurité élargi. Le leader d'opposition Zoran Zaev a été appelé. Il s'apprêtait à faire de nouvelles révélations sur un quintuple meurtre commis en 2012. Le 17 mai, une grande manifestation est prévue pour réclamer la démission du gouvernement. Pas sûr qu'elle aura lieu.