Samedi, dans un communiqué diffusé à la radio burundaise, le Conseil national de sécurité, organe nommé par le président de la République, Pierre Nkurunziza, a donné quarante-huit heures aux manifestants pour cesser de s’opposer à sa candidature à l’élection présidentielle de juin, officialisée la veille. L’intervention ne s’est pas fait attendre. Dès dimanche matin, les barricades des quartiers de Nyakabiga, Musaga et Cibitoke ont été déblayées par des militaires et policiers, marchant main dans la main pour la première fois.
Jusque-là, l'armée semblait tergiverser, multipliant les déclarations contradictoires. Le ministre de la Défense soulignait que les institutions burundaises émanaient des accords de paix d'Arusha de 2000, remis en cause aux yeux de l'opposition par une troisième candidature du président sortant (alors que la Constitution ne prévoit que deux mandats). Tandis que le chef d'état-major précisait, lui, que les forces armées resteraient loyales au gouvernement. Ces dernières semaines, les militaires avaient montré une volonté de discussion et d'apaisement d'autant plus remarquable que les policiers n'ont pas hésité à tirer sur les manifestants.
Sympathie. Sous l'égide du général Pontien Gaciyubwenge, ancien de l'armée régulière pendant la guerre civile (1993-2000), les forces burundaises ont bénéficié de davantage de sympathie que les organes de sécurité, la police nationale et le service national de renseignements, créés lors de la réforme du système de sécurité, en 2004. L'armée devait se recomposer en un corps apolitique qui réunirait à parts égales des membres venus de l'armée régulière, loyale au pouvoir majoritairement tutsi, et des combattants sans formation académique, issus des rébellions à dominante hutue.
Aujourd'hui forte de 20 000 hommes ayant majoritairement connu les années de guerre, l'armée burundaise a rapidement gagné en formation et en respectabilité dans les missions de paix internationales en Somalie et en Centrafrique, auxquelles elle participe encore massivement. «A l'époque, il fallait fusionner beaucoup de gens qui n'avaient ni la même histoire, ni la même philosophie, ni les mêmes compétences, explique le politologue Gérard Birantamije, spécialiste du système de sécurité burundais. Cela a mieux marché dans l'armée que dans la police : aujourd'hui, le plus petit soldat ne tirera pas sur un individu désarmé, alors que la philosophie de la police est restée celle d'une rébellion. Non seulement cette formation au droit international n'a pas eu lieu au sein de la police, mais de plus, des chaînes de commandement parallèle s'y sont créées, basées sur des affinités de maquis et sur la loyauté à certains chefs.»
Malgré ses transformations et ses débats internes, l'armée conserve encore sa vieille image - celle d'un corps défendant la minorité tutsie, au pouvoir jusqu'à la fin de la guerre. Mais au sein des institutions comme de la population, les rapports de force et les affiliations ne recoupent plus forcément les appartenances ethniques. «Le système mis en place depuis dix ans est plus construit sur le népotisme politique que sur le clientélisme ethnique, remarque Christine Deslaurier, chercheuse à l'Institut de recherche pour le développement (IRD). On peut avec raison craindre une instrumentalisation des identités ethniques, qui a déjà fait son apparition dans certains discours, en particulier du parti au pouvoir et de ses organes de communication, qui répètent à l'envi que l'opposition représente une minorité, héritière des régimes tutsis antérieurs. Mais une telle caractérisation du conflit oublie les affiliations partisanes, les origines territoriales ou encore les allégeances économiques. Cela empêche d'en saisir la complexité réelle et donc l'évolution possible.»
Remous. Après trois semaines de manifestations interdites par le gouvernement, où les revendications portent sur la consolidation des institutions démocratiques de l'après-guerre, ces prochains jours montreront de quelle manière les remous de la société burundaise traversent ou pas son armée, dont même les membres issus de la rébellion hutue sont divisés. Pour Christine Deslaurier, «la cohésion de l'armée pourrait néanmoins souffrir d'une réactivation des fidélités partisanes nées pendant la guerre, ou d'un usage vicié des quotas ethniques».