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Libération
Reportage

Katmandou plie mais ne rompt pas

Les immeubles récents de la capitale népalaise ont mieux résisté que prévu au séisme du 25 avril. Mais l’apparition de fissures inquiète les habitants et les promoteurs immobiliers.
Un secouriste dans une rue de Katmandou, mardi, quelques heures après une nouvelle secousse sismique. (Photo Navesh Chitrakar. Reuters)
publié le 12 mai 2015 à 20h26

Le bâtiment est d'un blanc impeccable. Seules les grandes lettres rouges contrastent, avec ces mots écrits en népalais : «Logistique de l'armée népalaise.» Cette usine de fabrication d'équipement militaire, une structure de trois étages en forme de U, apparaît en bon état après le catastrophique séisme du 25 avril. Mais l'ingénieur interne, Sangaya Shrestha, inquiet, a préféré faire venir deux experts pour vérifier certaines fissures. Dans l'aile de droite, il leur indique une marque au plafond : de fines lignes traversent une poutre. Une autre passe dans une colonne. Nashila Shraditha, une ingénieure spécialisée dans les structures, demande à un ouvrier de creuser pour enlever le plâtre, afin de savoir si le ciment a été touché. Cette information sera cruciale : les poutres, colonnes et sols soutiennent toute la structure. Elle fait ensuite humidifier le ciment. «Il est de mauvaise qualité», s'inquiète l'ingénieure. Avec un architecte des bâtiments, elle suivra ces lignes sur les trois étages pour savoir comment l'édifice, construit il y a vingt et un ans, a résisté au plus violent tremblement de terre qui ait frappé le Népal depuis 81 ans, d'une magnitude de 7,8 . «A l'époque de sa construction, nous n'avions pas de moyen de vérifier la qualité du ciment», déplore Sangaya Shrestha.

Béton. Au bout d'une heure à creuser le plâtre, les deux spécialistes rassurent l'ingénieur interne en déclarant le bâtiment non-dangereux. «Les dommages sont mineurs et le tremblement de terre n'a pas affecté la structure, conclut l'architecte, Prajwal Hada. A long terme, ils devront la renforcer, mais pour l'instant ils peuvent relancer les machines.» Un soulagement, surtout que cette usine fabrique les couvertures que l'armée distribue aux sinistrés.

La crainte s'est installée dans le cœur des habitants de Katmandou, qui ont vu ces fissures lézarder des centaines de bâtiments après le séisme, dont beaucoup de nouvelles tours résidentielles et de centres commerciaux. Le béton et la brique, qui ont tué plus de mille personnes dans la ville, sont devenus les ennemis de ces citadins qui ont préféré vivre pendant près d'une semaine en extérieur. La pratique locale de construction n'a rien pour les rassurer : «Il y a des normes précises de construction, mais il est rare qu'elles soient appliquées à Katmandou, affirme une jeune architecte du grand cabinet de promotion immobilière Civil Homes, qui ne souhaite pas être nommée. Il n'y a que dans la municipalité de Lalitpur [mitoyenne de Katmandou], que les autorités obligent à les respecter.»

Les piliers sont en général renforcés de barres de fer depuis plus d'une dizaine d'années au Népal, selon les normes sismiques, grâce à la formation d'ingénieurs de bâtiment. Mais c'est la qualité du ciment qui est souvent douteuse. Dans ce contexte, la capitale népalaise offre un visage étonnement rassurant à celui qui la traverse : les quartiers et structures les plus touchés sont les plus anciens, tels que les célèbres monuments des places royales de Durbar, classés au patrimoine mondiale de l'humanité et vieux de près de dix siècles. Ceux-ci se sont effondrés tels des châteaux de carte. Mais l'essentiel de la ville contemporaine a été épargné, ce qui surprend l'architecte Prajwal Hada : «Nous avions calculé qu'un séisme de cette ampleur pourrait détruire des milliers de bâtiments et jeter jusqu'à 100 000 personnes à la rue. Nous en sommes heureusement loin, et nous devons étudier pour comprendre comment ces immeubles ont tenu.» Beaucoup ont la chance d'être construits les uns contre les autres, une solidarité qui leur a permis de contenir le choc.

Tours.Après la nouvelle secousse de mardi, les bâtiments récents semblent avoir tenu le choc, mais des structures plus anciennes, déjà fragilisées par le séisme du 25 avril, se sont effondrés. «Nous avons vérifié les dix lotissements que nous avons construits et ils ne sont pas gravement endommagés, assurait, après le premier séisme, Narendra Bajcharya, directeur de l'entreprise immobilière Confort Housing. Nous avons demandé au gouvernement de les certifier, car cela rassurerait les clients.»

Il leur faudra en effet faire un important travail de communication, surtout que la nouvelle tendance, depuis cinq ans, est de construire en hauteur. Des tours de plus de dix étages dans une ville de près de trois millions d'habitants, à l'extension latérale restreinte car coincée entre deux chaînes de montagnes. Beaucoup étaient en construction ou en phase d'inauguration au moment du séisme. «Je pense que plus personne ne voudra acheter des appartements en hauteur avant un certain temps», lâche la jeune architecte de Civil Homes, qui craint une crise du secteur immobilier.