«Chez les gens» est un simple bar situé à Kamenge, le grand quartier populaire du nord de Bujumbura. C'est cette gargote qui servirait désormais de QG aux forces restées loyales au président Pierre Nkurunziza, qui ont entamé mercredi soir une redoutable contre-offensive dans la capitale burundaise.«Ils se regroupent dans un bistrot de quartier, et ce sont eux qu'on appelle les forces loyalistes, et nous qui sommes les putschistes ?» ironisait jeudi le général Venant Ndabaneze, joint au téléphone par Libération. Porte-parole du général Godefroid Niyombare qui, depuis mercredi, tente de destituer le président Nkurunziza, Venant Ndabaneze s'inquiète bien sûr de la dégradation de la situation à Bujumbura. «Les Imbonerakure [la milice du régime, ndlr] ratissent déjà certains quartiers, en traquant en priorité les gens qui avaient manifesté contre le troisième mandat du Président», souligne-t-il.
A Kamenge, quartier qui fut l'un des «points chauds» pendant la longue guerre civile qu'a connu le pays, ce serait le général Adolphe Nshimirimana qui aurait pris en main cette contre-offensive des fidèles du Président. L'homme est depuis longtemps accusé d'être celui des basses œuvres du régime, et notamment d'être l'instigateur de l'assassinat, en septembre, de trois religieuses italiennes dans ce même quartier de Kamenge (lire Libérationde mardi). Ce faucon redouté parviendra-t-il à renverser le rapport de forces et à faire échouer le coup d'Etat en cours ? «Les partisans du Président sont certes minoritaires mais ils sont surarmés. Et après l'annonce du coup d'Etat, le général Niyombare a peut-être commis l'erreur de vouloir d'abord négocier avec eux, laissant aux partisans du Président le temps de se réorganiser», estime un bon connaisseur du Burundi depuis Bruxelles.
Rues vides. Depuis mercredi, la situation évolue effectivement très vite à Bujumbura. Après l'annonce du renversement de Pierre Nkurunziza par une fraction de l'armée, lassée de «la dérive criminelle du Président», selon les mots de Venant Ndabaneze, une foule en liesse était descendue dans la rue mercredi. Mais dès le lendemain, changement d'ambiance : jeudi, les rues étaient vides et les tirs résonnaient par intermittence en différents points de la ville. Certes, Nkurunziza n'a pas réussi à rentrer au pays, son avion a dû faire demi-tour dans la nuit de mercredi à jeudi, et le Président «destitué» se trouve toujours à Dar es-Salaam, en Tanzanie, où il s'était rendu pour participer à un sommet régional sur la dégradation de la situation au Burundi. Mais ses adversaires n'ont pas réussi à neutraliser à temps les miliciens Imbonerakure et la «brigade spéciale de protection des institutions», la garde présidentielle, qui livraient jeudi la bataille pour le contrôle de la capitale.
Une bataille qui se joue à huis clos : pour empêcher Pierre Nkurunziza de rentrer au Burundi, les forces du général Niyombare ont en effet fermé les frontières et l'aéroport, qui est sous leur contrôle. Mais jeudi matin, les partisans de Nkurunziza avaient gagné des points en faisant taire deux radios indépendantes, dont la célèbre Radio publique africaine, ainsi que la seule chaîne indépendante, Télé Renaissance. De leur côté, les putschistes du général Niyombare ont tenté, pendant plusieurs heures, de prendre le contrôle du siège de la RTNB, la radio et télévision publique, qui avait diffusé le matin même un message de Pierre Nkurunziza, joint par téléphone à Dar es-Saalam. Ce dernier félicitait «les forces de sécurité» pour avoir «déjoué la tentative de coup d'Etat», qualifiée d'«imposture», et affirmait contre toute évidence que «les frontières n'étaient pas fermées». Reste que même si la RTNB passait sous contrôle putschiste, le général Adolphe Nshimirimana aurait réussi à emporter l'une de ses antennes.
Légitimité. Ce n'est pas un hasard si les radios et les télés sont la cible des deux camps : la guerre qui se joue est aussi médiatique. Les pro-Nkurunziza tentent de mobiliser en répétant que «la situation est sous contrôle» comme le tweetait jeudi matin le Président depuis la Tanzanie. De la même façon, les forces qui ont rejoint le général Niyombare ont besoin de mobiliser les habitants de la capitale qui leur sont majoritairement favorables, et de continuer à affirmer leur légitimité. Dans la soirée de jeudi, le principal conseiller en communication de Nkurunziza annonçait son retour au Burundi.
L'Union africaine, par principe hostile aux coups d'Etat, a condamné les putschistes. Mais elle avait eu des mots très durs, en début de semaine, contre Nkurunziza et son intention de briguer un troisième mandat. «Voilà longtemps que nous observons sa dérive», se justifie Venant Ndabaneze, le porte-parole des insurgés. «Voilà longtemps qu'il assassine des opposants, qu'il s'est montré prêt à détruire le pays pour rester au pouvoir», poursuit cet ex-commissaire de police qui ajoute : «Nous irons jusqu'au bout. Nous n'avons que deux options : soit abandonner le peuple dans la gueule du lion, soit résister.»
Quelle que soit l’issue de la bataille de Bujumbura, une certitude : l’enjeu des élections semble déjà dérisoire face aux risques d’un bain de sang.