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Libération
Décryptage

Les travaillistes en quête d’un New New Labour

Après la défaite électorale du parti, anciens caciques et jeunes loups du parti britannique veulent cibler à nouveau la classe moyenne.
Chuka Umunna (à gauche) à Manchester, en avril. (Photo Andy Rain. MaxPPP)
publié le 14 mai 2015 à 19h26

C’est la valse des fantômes, le triomphe amer des oubliés. Peter Mandelson, Tony Blair… Depuis 2010, leurs noms étaient à peine chuchotés, leurs déclarations balayées, comme entachées de souvenirs honteux. Mais voici que le Labour se souvient. Ces noms sont ceux, entre autres, des artisans de ses trois victoires consécutives et triomphalesaux élections. C’était en 1997, 2001 et 2005. C’était il y a une éternité.

Une semaine après sa pire déroute électorale depuis au moins 1992, le Labour admet s’être perdu. Engagé dans un douloureux examen de conscience, il se cherche désormais une âme et un chef. Pas forcément dans cet ordre. Ed Miliband panse ses plaies à Ibiza. A Londres, les dents s’aiguisent et les rancœurs affleurent. Le nouveau dirigeant travailliste sera connu le 12 septembre. Les candidats sont invités à se faire connaître avant le 15 juin. Ils devront d’ici là obtenir le soutien d’au moins 35 députés travaillistes, soit, selon les règles du parti, 15% des députés du Labour.

Cinq candidats sont d'ores et déjà en lice et ils se divisent en deux catégories. Les héritiers ou proches du New Labour, qui souvent ont exercé des fonctions sous Tony Blair et Gordon Brown. Et les nouvelles étoiles montantes, élus députés pour la première fois en 2010. C'est le cas de Chuka Umunna, 36 ans (lire ci-contre) et de Liz Kendall, 43 ans. Tristram Hunt, 40 ans, brillant historien, devrait déclarer sa candidature rapidement. Tous les trois ont été parmi les premiers à critiquer l'abandon du centre et de la classe moyenne par le Labour d'Ed Miliband. Les «anciens», pas si âgés que cela, sont Andy Burnham, 45 ans, probablement le candidat le plus à gauche, et Yvette Cooper, économiste de 46 ans qui possède le désavantage d'être mariée à Ed Balls, ministre des Finances dans le cabinet fantôme d'Ed Miliband, un ancien proche de Gordon Brown qui vient de perdre son siège de député.

Éviscération. Peter Mandelson a été le premier des anciens à renaître de ses cendres en se livrant à une éviscération violente de la stratégie travailliste pour l'élection de 2015. «On nous a entraînés, en 2010, dans une expérience politique qui consistait à agiter un poing furieux sous le nez de ces affreux Tories [conservateurs, ndlr] et à attendre que le public réalise à quel point on leur avait manqué, s'est énervé le grand stratège du New Labour sur la BBC. Eh bien on ne leur manquait pas ! […] Abandonner le New Labour a été une erreur monumentale !» Tony Blair, dont le nom outre-Manche est tellement synonyme de guerre en Irak et d'appât du gain qu'on en a presque oublié qu'il fût dix ans Premier ministre, s'est voulu - à peine - plus mesuré. «La route vers le sommet se situe au centre. Le Labour doit se préoccuper autant d'ambitions et d'aspirations que de compassion et d'attention», a-t-il commenté dans The Guardian.

La plupart des déclarations des autres membres du Labour vont dans ce sens. Ed Miliband a tiré son parti trop à gauche. Et oublié d’offrir des aspirations à la classe moyenne, qui s’est sentie négligée, peu concernée. Dans le même temps, la classe ouvrière, économiquement inquiète, préoccupée par l’immigration, s’est tournée vers l’alternative Ukip, le parti antieuropéen qui, s’il n’a remporté qu’un siège de député, a recueilli presque 4 millions de voix.

Le Labour a perdu sur trois tableaux, celui de la compétence du leader, de la compétence économique et de l’image du parti. Au cours des cinq dernières années, Ed Miliband a été perçu comme un dirigeant peu convaincant, peu charismatique, voire carrément bizarre. Sa campagne électorale moins mauvaise que prévu n’a pas suffi à gommer cette impression.

Clichés. Le Labour «n'a pas offert d'explication cohérente sur ce qui n'a pas fonctionné juste avant la crise financière» de 2008, analyse le professeur Tom Quinn, de l'université de l'Essex. Et n'a pas proposé d'alternative crédible à la politique d'austérité du gouvernement Cameron. Enfin, en termes d'image, le parti mené par Ed Miliband a renoué avec des clichés anciens, en étant perçu comme «antibusiness, pro-intervention de l'Etat, prosyndicats», note Tom Quinn. Le milliardaire et entrepreneur lord Sugar, fondateur d'Amstrad, a ainsi quitté avec fracas le Labour au lendemain de l'élection. Il l'avait rejoint en 1997, «à une époque où l'esprit entrepreneurial était soutenu par le parti». Mais, «récemment, j'ai perçu un retour en arrière vers les valeurs du "old Labour"», qui, dans les années 80, a perdu élection après élection, a-t-il expliqué.

L’introspection est en marche, mais elle risque d’être longue. D’autant que la problématique n’est pas la même dans tout le royaume, et notamment en Ecosse. Le Labour a été éradiqué des lieux, en perdant 40 des 41 sièges qu’il détenait, par le Scottish National Party (SNP), qui se plaçait résolument plus à gauche que le Labour d’Ed Miliband. Comment résoudre l’équation ? Un retour pur au New Labour, trop stigmatisé, n’est pas possible. Le «old» Labour vient de refaire la preuve de son incapacité à gagner une élection. Le Labour de demain reste encore à inventer.