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Libération
Récit

Rien n’est encore joué au Burundi

Deux jours après la tentative de coup d’Etat des putschistes qui contestaient sa prétention à un troisième mandat, le président Nkurunziza est rentré au pays. Mais la situation reste incertaine.
Des partisans du président Pierre Nkurunziza à Bujumbura vendredi. (Photo Goran Tomasevic. Reuters)
publié le 15 mai 2015 à 19h56

Ce vendredi à Bujumbura, l’ambassade des Etats-Unis et la représentation des Nations unies auraient demandé à leur personnel «non essentiel», selon la formule consacrée, de quitter le Burundi. Preuve s’il en est que l'échec du coup d’Etat de mercredi et le retour au pays du président Pierre Nkurunziza ne sont pas exactement perçus comme le signe d’un «retour à la normale» par la communauté internationale. Laquelle risque pourtant d'être sollicitée et observée ces prochains jours alors que la situation au Burundi reste incertaine.

Vendredi matin, la reddition des militaires putschistes n’aura été que le dernier soubresaut d’une semaine riche en rebondissements, qui a vu le président en exercice, Pierre Nkurunziza, «destitué» alors qu’il était en dehors du pays, puis «sauvé» par ceux qui lui étaient restés fidèles. Jeudi soir, la première annonce de la reddition des putschistes, vers 23 heures, aura été précédée de peu par celle des Etats-Unis qui, pour la première fois depuis le coup d’Etat, apportaient officiellement leur soutien à Nkurunziza. Juste avant que le Conseil de sécurité de l’ONU ne condamne lui aussi «ceux qui cherchent à s’emparer du pouvoir par des moyens illégaux». Reste à savoir si ces prises de position ont entériné la défaite des putschistes ou si elles l’ont accélérée. Ce qui est clair en tout cas, c’est que les Etats de la région et les observateurs occidentaux présents à Dar es-Salaam, en Tanzanie, pour une réunion régionale sur le Burundi au moment où le pouvoir a semblé basculer à Bujumbura, n’ont pas su ou voulu mettre hors jeu Nkurunziza alors que ce dernier était, par la force des choses, coincé sur place avec eux.

Représailles. A aucun moment de ces trois jours de crise le président en exercice n’a semblé lâcher prise, qualifiant la tentative de coup d’Etat d'«imposture» et organisant à distance la reprise en main de la capitale. «Mais il faudra bien à présent que la communauté internationale dépasse la phraséologie diplomatique. Car si elle n’arrive pas à peser sur Nkurunziza pour qu’il abandonne l’idée d’un troisième mandat, alors il ne faut pas se faire d’illusions : les manifestations vont reprendre avec un degré de violences accru», constate François Nyamoya, avocat et opposant bien connu à Bujumbura. Joint vendredi au téléphone, il affichait une sérénité apparente, alors que les craintes de représailles de la part du camp Nkurunziza restaient très fortes. «Les putschistes bénéficiaient de sympathies réelles au sein de la population car ces officiers n’incarnaient pas une faction mais l’ensemble des sensibilités burundaises. Leur échec ne signifie pas la fin du mouvement, loin de là. Les gens n’ont plus rien à perdre, ils défieront Nkurunziza jusqu’au bout», poursuivait-il.

Dans la matinée, alors que Nkurunziza venait de rentrer au Burundi, des manifestants opposés à sa candidature étaient déjà redescendus dans la rue à Musaga, un quartier du sud de Bujumbura. Avant d’être dispersés par les tirs de sommation de la police. Peu après, on apprenait que les chefs des mutins arrêtés auraient été conduits à «la Documentation», le très redouté siège des services secrets. Le conditionnel s’impose : les forces fidèles à Nkurunziza ayant en priorité ciblé les médias indépendants dès lors réduits au silence, seuls les médias officiels, et les rumeurs, fonctionnent désormais à Bujumbura. Ce qui dans l’immédiat, dessert le camp des vaincus.

«Une victoire qui serait celle d’un seul camp ne tiendra qu'à court terme», prévient Sylvestre Ntibantunganya, joint lui aussi au téléphone «dans un pays voisin» du Burundi. Cet homme politique, candidat déjà déclaré aux prochaines élections, fut le premier président à succéder à Melchior Ndadaye, assassiné lors du coup d’Etat de 1993 qui allait déclencher une longue guerre civile au Burundi. Avec trois autres anciens présidents burundais, il a signé le 11 mai une lettre adressée aux chefs d’Etat présents à la réunion de Dar es-Salaam, déclarant «anticonstitutionnelle» la volonté de Nkurunziza de se représenter pour un troisième mandat.

Défi. «Même au sein du parti présidentiel, des personnalités sont opposées à ce troisième mandat», rappelle Ntibantunganya, qui assure qu'à Dar es-Salaam les participants avaient adressé «un message clair» à Nkurunziza, l’incitant à «respecter la Constitution». Et donc à ne pas se représenter ? «La communauté internationale a toujours aidé le Burundi dans les multiples crises qu’il a traversées. Pour les accords de paix d’Arusha en 2000, deux illustres chefs d’Etat africains aujourd’hui décédés, le Tanzanien Julius Nyerere et le Sud-Africain Nelson Mandela, s'étaient personnellement impliqués pour leur réussite. Personne n’a intérêt à gaspiller l’héritage de ces accords qui ont ramené la paix au Burundi», soulignait vendredi l’ancien président, qui avait vécu douloureusement les événements de 1993 : «Tous mes amis politiques sont morts lors de cette crise. Et ma femme a été tuée parce que les tueurs ne m’ont pas trouvé chez moi.» Aujourd’hui, le Burundi est à nouveau dans la tourmente et la communauté internationale attendue au tournant. Avec un premier défi : s’assurer que les mutins arrêtés ne soient pas assassinés. «J’espère qu’ils ne vont pas nous tuer», avait glissé leur chef à l’AFP. Vendredi soir, Godefroid Niyombare était encore en fuite. Mais trois de ses plus proches collaborateurs, dont Venant Ntabaneze interviewé la veille par Libération, étaient déjà aux mains des partisans de Nkurunziza.