On les disait affaiblis, fragilisés par les frappes aériennes de la coalition et déstabilisés par les probables blessures infligées à leur calife autoproclamé, Abou Bakr al-Baghdadi. Mais les jihadistes de l'Etat islamique (EI) viennent de lancer deux nouveaux assauts. L'un sur Palmyre, ville antique syrienne, et l'autre à plusieurs centaines de kilomètres à l'est, à Ramadi, en Irak. Ils continuent par ailleurs à combattre les forces kurdes dans le nord-est de la Syrie. «C'est le plus étonnant avec eux. Ils ont cette capacité à mener plusieurs fronts simultanément et à en ouvrir de nouveaux, même après des défaites», affirme un gradé français qui opère au sein de la coalition menée par les Etats-Unis contre l'EI (lire ci-contre).
Pourquoi attaquer Palmyre ?
D’un point de vue stratégique, s’emparer de cette ville située à 210 kilomètres au nord-est de Damas aurait un double d’avantage. D’une part, cela permettrait aux jihadistes d’étendre leur contrôle à une région du centre de la Syrie. Ils sont déjà dans le Nord et dominent une partie de l’Est, notamment Deir el-Zor, relié par autoroute à Palmyre. Le régime y reste présent, mais l’EI en a chassé les rebelles syriens, dont le Jabhat al-Nusra, la branche syrienne d’Al-Qaeda, l’été dernier. La province de Deir el-Zor jouxte par ailleurs celle d’Al-Anbar, de l’autre côté de la frontière irakienne, fief historique de l’EI.
D’autre part, la prise de Palmyre représenterait un énorme bénéfice en termes de propagande et de recrutement. Classée au patrimoine mondial de l’Unesco, l’ancienne cité de la reine Zénobie est l’un des trésors de l’ère romaine au Moyen-Orient. Elle renferme des centaines de colonnes, de temples et une nécropole de 500 tombes et monuments funéraires.
S'ils venaient à s'emparer de la cité historique, son sort ne laisserait aucun doute, les jihadistes n'ayant eu de cesse de détruire et de piller les ruines pré-islamiques de sites archéologiques irakiens, à Hatra, Nimrod et Mossoul. «Nous sommes très inquiets […] parce que c'est un site ancien romain ayant beaucoup de valeur», affirme Irina Bokova, directrice générale de l'Unesco, avant d'appeler «toutes les parties prenantes à protéger» cette oasis.
Les images de saccages que ne manquerait pas de diffuser l’EI en cas de prise de Palmyre pourraient faciliter le recrutement de jihadistes étrangers. Jeudi, dans un enregistrement audio, Abou Bakr al-Baghdadi, le chef de l’organisation qui aurait été selon plusieurs médias gravement blessé lors d’un bombardement en mars, a appelé avec insistance les musulmans à rejoindre le califat ou à attaquer leur propre pays. L’offensive de l’EI avait été lancée la veille. En quelques jours, les jihadistes se sont emparés de plusieurs villages proches de Palmyre, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH), avant de pénétrer samedi dans la ville. Dimanche, l’armée syrienne les aurait repoussés à l’extérieur de la cité, selon le gouverneur de Homs. D’après l’OSDH, les combats auraient tué plus de 120 soldats et miliciens loyalistes, ainsi que 115 jihadistes et 57 civils, dont des dizaines exécutés par l’EI. Les combattants de l’EI restaient toutefois dimanche autour de la ville, à un kilomètre environ du site archéologique.
Où en est l’offensive sur Ramadi, en Irak ?
Les jihadistes sont en passe d’en prendre le contrôle total. Dimanche, ils se sont emparés du quartier général des forces de sécurité de la province d’Al-Anbar à Ramadi. Ils avaient déjà pris, la semaine dernière, le principal complexe gouvernemental et le QG de la police où flotte désormais le drapeau noir des jihadistes.
Malgré les envois de renforts annoncés par Bagdad et les sept frappes aériennes américaines menées depuis samedi, l’armée irakienne n’a toujours pas lancé de contre-offensive d’ampleur. La prise de Ramadi constituerait la première victoire significative de l’EI cette année, alors qu’il a perdu Tikrit et n’a pas réussi à s’emparer de Kobané, au Kurdistan syrien. Elle lui donnerait aussi le contrôle quasitotal de la province sunnite d’Al-Anbar, dont Ramadi est la capitale. Les jihadistes n’ont pu s’emparer de Mossoul en juin 2014 et créer leur califat que grâce à leur implantation à Al-Anbar et à la prise de Fallouja en janvier 2014. C’est aussi dans cette province qu’Al-Qaeda en Irak, dont est issu l’EI, avait prospéré après l’invasion américaine de 2003. Il avait fallu que les Etats-Unis financent des milices sunnites pour que le groupe en soit chassé.
Si Ramadi, situé à seulement 100 kilomètres de Bagdad, venait à tomber, le camouflet serait d’autant plus sévère pour le gouvernement irakien qu’il a fait de la reconquête d’Al-Anbar sa nouvelle priorité, avant l’offensive sur Mossoul, régulièrement repoussée et désormais annoncée pour cet automne.