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Libération

Moshe Levinger enterré, son passé de colon aussi

publié le 17 mai 2015 à 18h36

«C'est tellement dur de te dire au revoir, Moshé !» En présence du président de l'Etat, Reuven Rivlin, de députés et d'élus locaux, des milliers d'Israéliens d'extrême droite ont participé ce dimanche, devant le caveau des patriarches de Hébron sous un soleil de plomb, à l'enterrement du rabbin Moshe Levinger (80 ans), le père spirituel de la colonisation des territoires occupés depuis juin 1967. «Ce n'était pas un homme de consensus mais nous l'aimions tel qu'il était», a déclaré Rivlin. Une manière élégante de survoler les épisodes gênants de la vie du défunt.

Car Levinger a inspiré la création de la première véritable colonie de Cisjordanie lorsque plusieurs dizaines de militants sionistes religieux qui avaient, pour la Pâque juive de 1968, loué un hôtel dans le centre de Hébron (la deuxième grande ville palestinienne des territoires) ont tout simplement refusé de quitter les lieux. Au fil des négociations avec le gouvernement travailliste de l’époque, ces premiers colons ont obtenu le droit de créer Kyriat-Arba, une petite ville située à moins d’un kilomètre de Hébron, dont le fils de Moshe Levinger est d’ailleurs le maire actuel. Fort de ce succès, le rabbin a poussé à la création du Goush Emounim (le Bloc de la foi), un mouvement politico-religieux qui, à partir de 1974, a multiplié les faits accomplis sur le terrain avant de se transformer en Yesha, le lobby des colons représenté à la Knesset par l’aile droite du Likoud et par le Foyer juif, le parti du nouveau ministre de l’Education, Naftali Benett.

Dans le courant des années 80, alors que certains des disciples de Levinger créaient un réseau terroriste juif impliqué dans l'assassinat de personnalités palestiniennes proches de l'OLP, le rabbin a lui-même trempé dans une série d'affaires violentes visant des habitants palestiniens de Hébron, parmi lesquelles deux tentatives d'enlèvement. Condamné à plusieurs reprises, le cerveau de la colonisation a alors multiplié les séjours en prison. En 1989, il a notamment écopé de cinq mois ferme et de sept mois avec sursis pour avoir tué un commerçant palestinien de Hébron qui l'aurait «agressé sans raison». Cela n'entama pas son aura aux yeux de ses partisans puisque, du colon de base au ministre en fonction, le Goush Emounim mobilisa alors toutes ses forces pour défendre le rabbin «injustement accusé par les terroristes». Le juge récusa finalement une dizaine de témoins palestiniens - ainsi que deux soldats israéliens qui avaient pourtant vu Levinger abattre la victime de sang-froid.

Vingt-six années plus tard, personne ne s’offusque de voir le plus haut personnage de l’Etat hébreu venir s’incliner en grande pompe devant la dépouille de Moshe Levinger.