Le départ de Nkurunziza «ou la mort» : une semaine après la tentative de coup d'Etat du 13 mai qui a failli chasser du pouvoir le président du Burundi, avant d'échouer deux jours plus tard, l'opposition à Pierre Nkurunziza estime que rien, «pas même le report des élections, n'est désormais suffisant» pour calmer la colère des manifestants. C'est Alexis Sinduhije, à la tête du Mouvement pour la solidarité et le développement, qui s'exprime ainsi depuis le Rwanda.
Il s’y est réfugié ces jours-ci, à l’instar de nombreux opposants qui se sont cachés ou exilés depuis le retour en force de «Son Excellence le très populaire président burundais» comme le désignent systématiquement ses partisans sur certains réseaux sociaux. Pas forcément «populaire» aux yeux de tous : lundi, malgré la peur et la crainte de représailles, des manifestations de grande ampleur se sont déroulées une fois de plus à Bujumbura, la capitale, contestant la volonté de Nkurunziza de se représenter pour un troisième mandat.
Le maire de Bujumbura avait pourtant prévenu que les manifestants seraient assimilés à «des putschistes», ceux-là même qui avaient tenté de forcer le destin en essayant de chasser Nkurunziza par la force. Sans se rendre compte que le Président avait visiblement infiltré les conjurés d'hommes qui lui étaient restés fidèles. Et qui ont fait avorter cette tentative de putsch.
Psychose. «Les manifestations vont continuer jusqu'à ce qu'il parte», assure Alexis Sinduhije. «Si Nkurunziza avait un bilan positif, on ne s'acharnerait pas sur la question de la constitutionnalité ou non du troisième mandat. Mais depuis dix ans cet homme a pillé les richesses du pays et a persécuté ses opposants. Il a mis en place une milice armée [les redoutés "Imborenakure", "les visionnaires", ndlr] prête à passer le moment venu au massacre généralisé», ajoute Sinduhije, qui s'inquiète de la «disparition» de plusieurs membres de son parti et accuse sans détour la France d'être le dernier soutien au régime en place : «Les seuls qui l'invitent à la retenue, ce sont les conseillers militaires et techniques français qui ne veulent pas d'un bain de sang. Mais la France est la seule puissance occidentale à soutenir encore ce président.»
Une accusation contre la France, pour la première fois fréquemment répétée, mardi, dans les milieux de l'opposition, en exil ou encore cachée au Burundi, qui soulignait la différence d'attitude des autres chancelleries et notamment de la délégation de l'Union européenne. Dont les bâtiments ont été la cible le même jour de tirs non authentifiés - nourrissant encore la confusion ambiante dans le climat de psychose qui prévaut dans la capitale. «On a peur de sortir, peur de communiquer même par téléphone. D'autant plus que la police aurait confisqué les portables d'opposants et de journalistes. Leurs contacts ont donc pu être identifiés», s'effrayait une habitante de Bujumbura, employée par une agence des Nations unies.
Le silence des médias indépendants, dont les locaux ont été détruits par les forces pro-Nkurunziza pendant le coup d'Etat, laisse le champ libre aux rumeurs les plus alarmantes. Que s'est-il passé à Musaga, quartier contestataire de la capitale et interdit d'accès aux journalistes mardi matin ? «Il y aurait eu des manifestations puis la police a tiré des gaz lacrymogènes et procédé à des arrestations», affirme un journaliste burundais. Que pense l'armée, qui a remplacé la police sur les lieux de plusieurs manifestations ? Ses divisions sont de plus en plus apparentes, sans rassurer, bien au contraire, les Burundais.
Remaniement. Lundi, des militaires se sont ainsi interposés «face à la garde présidentielle», affirme un journaliste, quand l'unité d'élite du régime a menacé de tirer sur la foule des manifestants à Musaga, frôlant l'affrontement direct entre deux corps de l'armée. «Il y a les soldats de troupes qui étaient du côté des putschistes et ont parfois déserté, il y a ceux qui n'apprécient pas la nomination d'un civil au poste de ministre de la Défense, et il y a ceux qui ont été choqués par le traitement particulièrement dégradant dont a fait l'objet Cyrille Ndayirukiye après son arrestation», analyse un représentant de la société civile également en fuite.
Numéro 2 du putsch avorté, Cyrille Ndayirukiye a été arrêté vendredi après l’échec du coup d’Etat et sa photo de détenu, visiblement molesté, a largement circulé sur les réseaux sociaux. Quand au ministre de la Défense limogé au lendemain du coup d’Etat, il serait actuellement lui aussi en fuite ou caché. Avec ce remaniement, qui a conduit au changement de trois ministres mardi, le Président réagissait finalement pour la première fois au putsch qui avait failli le renverser.
Dimanche, lors de sa première intervention publique, il n’avait pas dit un mot sur les événements qui s’étaient déroulés lorsqu’il se trouvait à un sommet régional à Dar es-Salaam, en Tanzanie. Se contentant d’évoquer une menace imminente des shebab islamistes somaliens sur le Burundi. Menace que le chef des shebab lui-même avait pris la peine de démentir aussitôt, invitant le président burundais à régler autrement ses problèmes internes.
Le régime s’efforce, certes, de tenir des propos rassurants, en affirmant que les médias indépendants pourront à nouveau fonctionner et en annonçant une enquête interne sur les dits médias - sans préciser sur quoi portera cette investigation. Mais mardi, les sièges de certains médias indépendants, comme celui de Télé Renaissance, étaient encore occupés par des militaires qui en interdisaient l’accès.
Dans la confusion qui règne à Bujumbura, un seul mot revient sans cesse : celui du «retour de la guerre civile» alimenté par les rumeurs de désertion au sein de l'armée. Nombreux sont ceux qui accusent également le régime de tenter de réveiller les tensions ethniques pour brouiller les cartes d'une crise pour l'instant avant tout politique. «A la sortie de Bujumbura, des barrages ont été érigés où on arrête tous ceux qui sont soupçonnés d'être tutsi [l'ethnie minoritaire, ndlr] ou dont les cartes d'identité indiquent qu'ils sont nés dans des quartiers contestataires que le régime considère comme des quartiers tutsis», s'inquiétait mardi Pancrace Cimpaye, un opposant réfugié désormais à Bruxelles.
«Ils essayent de jouer sur la corde ethnique mais ça ne marchera pas. Dans les manifestations, Hutus et Tutsis étaient côte à côte car ils souffrent tous du pillage des ressources du pays. En réalité, tous les quartiers sont en ébullition. Depuis les accords de paix d'Arusha en 2000, les Burundais ont appris à dépasser ces clivages ethniques», assurait mardi Alexis Sinduhije depuis Kigali, alors qu'à cinq heures de route plus au Sud, Bujumbura s'apprêtait à vivre une nouvelle nuit d'attente, entre rumeurs du pire et craintes du lendemain.