C'est le cœur de l'ambitieuse stratégie de Pékin pour accéder au Moyen-Orient : un long «corridor économique» qui, triomphant des hautes montagnes du Karakorum et des déserts, relie la partie occidentale de la Chine au richissime golfe Persique en contournant l'Inde. Le débouché de cette autoroute stratégique est un nouveau port en eau profonde, Gwadar, dans le Baloutchistan pakistanais, qui se bâtit en grande partie avec des capitaux chinois.
Le financement est là, le projet sur les rails, les relations entre Pékin et Islamabad plus étroites que jamais. Mais cet avenir, que les deux partenaires veulent croire radieux et dont le but annoncé est également de développer le Baloutchistan, est voilé par la menace que font peser les rebelles sécessionnistes.
Gauchistes. Par les armes, les embuscades contre l'armée, les enlèvements et assassinats d'ingénieurs chinois, le dynamitage des gazoducs et des trains, ils ont déclaré la guerre au plan sino-pakistanais, estimant qu'il «brade le Baloutchistan, sans lui donner sa part».Et refusent pour l'heure toutes négociations de paix.
Depuis l’indépendance du Pakistan, c’est la quatrième rébellion des sécessionnistes, sans que l’on en sache beaucoup puisque les journalistes étrangers sont interdits dans la province. La première a commencé en 1948, la deuxième dans les années 60 sous la dictature du général Ayoub Khan, la troisième sous Zulficar Ali Bhutto, qui mata les indépendantistes de façon féroce. La dernière a redémarré en 2006.
Ce qui fait la singularité du mouvement baloutche dans une région où pullulent les groupes islamistes (dont les talibans), c’est qu’il est séculier, de gauche - voire gauchiste -, longtemps dirigé par des seigneurs féodaux professant le marxisme comme remède aux maux du Baloutchistan. Or, ceux-ci sont nombreux. La province la plus vaste du pays est la moins intégrée dans le système fédéral et la moins développée alors que la région dispose de ressources minières et gazières considérables.
D’où les convoitises de la Chine, seul pays à oser y investir, qui a l’ambition de les exploiter en même temps que d’accéder aux rivages du golfe, via un réseau de routes et de chemins de fer aboutissant à Gwadar. Ce port est des mieux situés à la sortie du détroit d’Ormuz, où transite une grande partie du pétrole du Moyen-Orient.
Epine. Preuve de l'intérêt chinois, le président Xi Jinping est venu le 21 avril au Pakistan révéler des projets d'investissements de plus de 40 milliards d'euros visant à «transformer» l'économie du pays. Reste à retirer la douloureuse épine que constitue la guérilla baloutche, en particulier le Front de libération du Baloutchistan, qui, début avril, a revendiqué une attaque ayant tué une vingtaine d'ouvriers venus des provinces du Sind et du Pendjab. Mais comment amener les séparatistes à des négociations, sachant que le mouvement a éclaté en de nombreuses organisations et qu'il n'a aucun leadership ? La «sale guerre» du Baloutchistan n'est pas près de finir.