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Libération
Décryptage

Face à l’Etat islamique, trois stratégies en échec

Le monde arabe en ébullitiondossier
Les conquêtes de Ramadi, Palmyre et Baïji obligent les Etats-Unis, l’Iran et le Hezbollah à revoir leurs plans pour combattre l’organisation jihadiste.
publié le 25 mai 2015 à 20h36

C'est l'alarme. Face à l'Etat islamique (EI), elle est sonnée à la fois par Washington, Téhéran, le Hezbollah libanais et, dans une moindre mesure, les monarchies arabes du golfe Persique. L'heure est effectivement grave : Ramadi, capitale de la province irakienne d'Al-Anbar et verrou stratégique, est tombé ces derniers jours aux mains des jihadistes. Palmyre, en Syrie, aussi. Dimanche, le groupe jihadiste a pris le contrôle d'un poste frontière entre la Syrie et l'Irak, ce qui lui permet d'avoir une plus grande profondeur géographique et stratégique. Il a repris aussi la grande raffinerie irakienne de Baïji. Des informations non confirmées font à présent état de sa progression en direction de la Jordanie. C'est donc un échec cuisant pourles adversaires de l'EI. C'est d'ailleurs le Hezbollah qui s'est montré le plus inquiet. Fait sans précédent, son chef suprême, Sayyed Hassan Nasrallah, a appelé dimanche à l'union sacrée contre l'organisation jihadiste, estimant qu'elle représentait «un danger existentiel» pour toute la région.

Les Etats-Unis vont-ils changer de stratégie ?

Face à l'EI, c'est l'Irak qui mobilise l'essentiel de l'attention et des efforts sur le terrain des Américains. Ils n'oublient pas que l'actuel chaos est une des conséquences de leur invasion du pays en 2003. Et qu'ils ont entièrement créé, formé et armé à coups de milliards de dollars l'indigente armée irakienne. Cependant, la prise de Ramadi après celle de Mossoul l'an dernier a été une défaite cuisante de trop pour le Pentagone. D'où la réaction si peu diplomatique du secrétaire à la Défense, Ashton Carter, qui a reproché dimanche à cette armée «de n'avoir montré aucune volonté de se battre» pour défendre la capitale de la province d'Al-Anbar. Les soldats irakiens, a-t-il regretté, «dépassaient largement en nombre les forces adverses», mais «ils ne sont pas parvenus à se battre» et «se sont retirés de la zone». «Mais si nous leur fournissons un entraînement, des équipements et de l'aide, j'espère qu'ils se mettront à vouloir se battre, parce que c'est seulement s'ils combattent que l'EI peut être vaincu», a ajouté le chef du Pentagone. Barack Obama a dit la même chose dans une interview, parue jeudi, à la revue The Atlantic : «Si les Irakiens n'ont pas la volonté de se défendre, nous ne pouvons pas le faire à leur place.» Mais pas de changement de stratégie en vue, même si le vice-président, Joe Biden, a réaffirmé son soutien à l'Irak lors d'un entretien téléphonique avec le Premier ministre Abadi, lundi.

Quelle est l’analyse de l’Iran ?

A l'évidence, Téhéran a choisi de s'engager encore plus. Le général Qassem Soleimani, le chef de la Force Al-Qods des Gardiens de la révolution, en charge des opérations et des renseignements extérieurs, a laissé entendre que cet engagement était nécessaire du fait du refus des Etats-Unis et de ses alliés de combattre vraiment l'EI. «Aujourd'hui, dans le combat contre ce dangereux phénomène, personne n'est présent à part l'Iran. Obama n'a pas fait la moindre chose pour affronter Daech [l'anagramme arabe par lequel ses adversaires désignent l'EI, ndlr]. Est-ce que cela ne montre pas qu'il n'y a aucune volonté en Amérique de se confronter à lui ?» a ajouté Qassem Soleimani, que l'on a souvent vu ces derniers mois sur les fronts syriens, irakiens et au Liban diriger les opérations militaires et commander des officiers locaux subalternes.

«M. Obama, quelle est la distance entre Ramadi et la base Al-Assad où les avions américains sont basés ? Comment pouvez-vous vous installer là-bas sous prétexte de protéger les Irakiens et ne rien faire ? Ceci n'est pas autre chose que d'être complice d'un complot», a-t-il poursuivi. L'auditoire choisi pour ces propos, tenus lors d'un discours, n'est pas anodin : des membres des pasdaran, les Gardiens de la révolution.

Pourquoi le cri d’alarme du Hezbollah ?

Visiblement, le «parti de Dieu» est en difficulté en Syrie et craint des répercussions au Liban. Hassan Nasrallah a profité du rassemblement pour le 15e anniversaire du retrait israélien du Sud-Liban - événement considérable qui avait consacré sa victoire sur l'armée israélienne - pour le faire savoir : «La bataille contre le projet takfiri [radical sunnite] est une bataille existentielle à laquelle sont confrontés notre pays et notre région ; et lorsqu'il s'agit d'une bataille existentielle, toutes les autres passent au second plan.» La guerre contre Israël serait donc reléguée au second plan. Ce que semble confirmer la déclaration suivante : «Aujourd'hui, nous faisons face à un danger inédit dans l'histoire, qui menace l'humanité. […] Cette menace ne vise pas [spécifiquement] la résistance au Liban [le Hezbollah et ses alliés], une confession particulière, le régime en Syrie, le gouvernement en Irak ou un groupe au Yémen. Le danger vise tout le monde. Personne ne doit faire la politique de l'autruche.»

Ce qui est aussi nouveau, c'est que Nasrallah, qui prétendait que ses forces agissaient uniquement pour défendre la frontière libanaise et les lieux saints chiites syriens, a clairement fait savoir qu'elles se battraient désormais «partout en Syrie», signe de la déliquescence des forces armées syriennes. «Ne soyez pas effrayés d'une victoire du Hezbollah, ayez peur d'une défaite de notre part», a-t-il même lancé à ses adversaires politiques libanais.

Plus qu’une guerre de religion, c’est donc bien un conflit de pouvoirs en vue d’établir une hégémonie régionale qui se dessine.