Mutiplication des atrocités et des exécutions pour l’Etat islamique (EI). Message clément à destination des chrétiens et de l’Occident pour le Front al-Nusra (la branche officielle d’Al-Qaeda en Syrie) mais menaces à peine voilées envers les villages alaouites. Les deux forces jihadistes, qui ne cessent de gagner du terrain en Syrie, ont élaboré deux stratégies opposées pour s’imposer et s’adresser aux pays occidentaux. Derrière ces deux stratégies de communication se dessine leur féroce rivalité, qui s’est d’ailleurs exprimée dans le passé par des affrontements sanglants.
Une semaine après avoir conquis l'antique cité gréco-romaine de Palmyre, l'organisation d'Abou Bakr al-Baghdadi a exécuté jeudi 20 prisonniers dans son célèbre théâtre romain. C'est devant les habitants de la ville que les islamistes ont perpétré ce nouveau crime de guerre, accusant leurs victimes d'avoir «combattu au côté du régime de Bachar al-Assad». Ces assassinats de masse semblent répondre par la surenchère à l'interview donnée mercredi par Abou Mohammed al-Joulani, le chef du Front al-Nusra, à la télévision qatarie Al-Jezira. Lors de cet entretien, d'une complaisance extrême, réalisé par un journaliste connu pour son allégeance aux Frères musulmans, Al-Joulani a réaffirmé sa loyauté à l'égard d'Ayman al- Zawahiri, le chef d'Al-Qaeda Central et le successeur d'Oussama ben Laden à la tête de l'organisation, tout en faisant savoir que sa préoccupation première n'était pas d'attaquer les pays occidentaux. «Les instructions que nous avons [d'Ayman al-Zawahiri] sont de ne pas utiliser la Syrie comme une base pour des attentats contre l'Occident ou l'Europe, pour ne pas salir la guerre actuelle», a déclaré le chef islamiste, le visage dissimulé par une écharpe noire et installé dans un fauteuil aux ornements dorés, comme s'il s'agissait d'un chef d'Etat.
«Autodéfense». A l'égard de Washington, il a cependant indiqué qu'il n'hésiterait pas à répliquer si l'aviation américaine continuait ses bombardements : «Toutes les options sont ouvertes. Tout le monde a le droit à l'autodéfense.» Il a aussi accusé les Américains «de se coordonner avec le régime de Damas pour utiliser l'espace aérien syrien». Mais le leitmotiv de Joulani concernait d'abord Al-Asssad : «Notre mission en Syrie est de faire chuter le régime, ses symboles et ses alliés, comme le Hezbollah.» «Je vous assure que la chute de Bachar est pour bientôt. je ne veux pas être trop optimiste mais il y a des signes très positifs», a-t-il réaffirmé, comme lors de sa précédente interview à Al-Jezira, en 2013. Que deviendront dès lors les chrétiens et les alaouites ? Pas de problème pour les premiers, avec lesquels al-Nusra assure ne pas être en guerre, mais les seconds ont fait l'objet d'une déclaration des plus menaçantes. «S'ils lâchent leurs armes, désavouent Al-Assad, ne combattent plus à ses côtés et reviennent à l'islam, alors ils sont nos frères», a-t-il lancé, leur ôtant ainsi leur qualité de musulman. «Ils se sont retirés de la religion de Dieu et de l'islam», a-t-il insisté, sous-entendant qu'il est légitime de les tuer. Aucune distanciation non plus avec Al-Qaeda, en dépit d'informations faisant état d'une certaine prise de distance encouragée par le Qatar, un des plus importants soutiens financiers du groupe et, en même temps, un des alliés des Etats-Unis dans le golfe Persique. L'interview, avec le drapeau noir jihadiste placé sur une table, entre le journaliste et son invité, est apparue comme une claire indication de la proximité de l'émirat avec l'organisation radicale.
Révulsion. En exécutant 20 prisonniers dans l'enceinte du théâtre antique, l'EI a choisi de son côté de jouer la carte de la révulsion. Le site extraordinaire de Palmyre est célèbre dans le monde entier - avant 2011, quelque 150 000 touristes le visitaient chaque année. D'où l'immense portée médiatique du massacre, qui confirme que le groupe jihadiste a une bonne connaissance de la culture occidentale et sait comment jouer sur l'émotion populaire. Une façon, aussi, dans la guerre pour le leadership islamiste, de montrer qu'il est plus radical que son concurrent, ce qui devrait lui valoir l'allégeance de nouveaux volontaires du monde entier.