«Au bout du compte, la vraie question c'est comment tu imagines l'Italie dans les vingt prochaines années ?» Au volant d'une voiture de petite cylindrée, Matteo Renzi n'attend pas la réponse de sa passagère. L'insolite spot de sept minutes dans lequel le chef du gouvernement italien interviewe la candidate du Parti démocrate (PD) à la présidence de la région Vénétie, Alessandra Moretti, n'a qu'un objet : faire bénéficier la jeune responsable de la popularité de Renzi et transformer les élections administratives partielles de dimanche en test national. Un peu plus d'un an après son accession au pouvoir, en février 2014, et son triomphe aux européennes quelques semaines plus tard avec 41% des suffrages, le président du Conseil espère obtenir une nouvelle légitimation populaire avec ce scrutin qui concerne 7 régions et 23 millions d'électeurs.
«La force de Matteo Renzi, c'est qu'il n'a pas d'alternative», résume d'emblée le philosophe et ancien maire (centre gauche) de Venise Massimo Cacciari. Reste que, début mai, Matteo Renzi pronostiquait un succès de son Parti démocrate «par 6 régions contre 1». Depuis, il se contenterait d'une issue positive dans 4 régions : «Ce serait déjà une victoire.» Car au cours des dernières semaines, la machine s'est un peu grippée : une partie de l'électorat traditionnel de la gauche est désormais dans la rue contre sa réforme scolaire ; l'un des jeunes ténors démocrates Filippo Civati a claqué la porte du parti ; et la reprise économique reste timide. Quant aux deux têtes de liste du PD en Ligurie et en Campanie, elles divisent profondément leur camp. A Gênes, Raffaella Paita a été désignée après des primaires controversées et frauduleuses au point de favoriser une liste de gauche concurrente.
«Moralité». Le maire de Salerne, Vincenzo De Luca, lui aussi désigné au terme de primaires, a été condamné en première instance pour abus de pouvoir et n'a pas hésité à faire alliance avec des candidats d'extrême droite ou en odeur de Camorra. «Gomorra est dans les listes de De Luca. La lutte contre la mafia n'est pas la priorité de Matteo Renzi», a dénoncé le célèbre écrivain Roberto Saviano.
Malgré tout, le chef du gouvernement a décidé de mouiller la chemise pour soutenir Paita et De Luca, convaincu que son engagement personnel permettra de surmonter les critiques («Personne ne peut nous donner des leçons de moralité») et de mobiliser l'électorat. «Sa cote de confiance est en légère baisse. Il est passé sous la barre des 50%, fait remarquer Roberto D'Alimonte, professeur de sciences politiques à l'université Luiss de Rome. Cependant le PD reste une exception en Europe, alors que les travaillistes viennent d'être battus en Grande-Bretagne, que le SPD allemand, les socialistes français et espagnols sont en crise, le PD italien reste de très loin la première formation du pays. Cela est étroitement lié à la personnalité de Renzi.»
Jusqu'à présent, le pouvoir n'a que marginalement entamé l'image du jeune quadra qui continue d'incarner «le changement, le renouvellement, la capacité de décider». «C'est ce que demande le pays, et le contenu de ce changement comme les effets des réformes apparaissent secondaires», selon Massimo Cacciari soulignant que «l'essentiel pour les électeurs c'est de tourner la page de la vieille gauche et de Berlusconi». S'il y a déjà belle lurette que Renzi a abandonné son tableau de marche pour révolutionner l'Italie en seulement cent jours, le Toscan peut se prévaloir d'avoir fait passer quelques réformes marquantes. «Les gens lui reconnaissent le mérite d'avoir fait voter la réforme du marché du travail - Jobs Act -, la nouvelle loi électorale, la responsabilité civile des juges, le divorce ou encore des nouvelles mesures anticorruption. Certaines plaisent à la gauche, d'autres à la droite. Renzi est un acrobate», résume D'Alimonte. «Il a mis un semestre pour se rendre compte que les questions économiques étaient prioritaires par rapport aux questions institutionnelles», juge pour sa part le sociologue Luca Ricolfi, pour qui «Renzi a donné de l'oxygène aux entreprises. Jamais un président du Conseil n'a reçu un soutien aussi appuyé du patronat».
«Voter blanc». A l'inverse, les syndicats sont vent debout contre la politique de Renzi, notamment depuis l'adoption du Jobs Act qui vise à favoriser les contrats à durée indéterminée, tout en facilitant le droit de licenciement des entreprises. A tel point que la secrétaire générale de la centrale syndicale CGIL, Susanna Camusso, a annoncé son intention de «voter blanc» : «Nous ne sommes plus sûrs que la gauche soit synonyme de politiques progressistes.» «Désigner les syndicats comme des adversaires est délibéré, juge Massimo Cacciari, car ceux-ci sont considérés comme vieux et conservateurs. Or, Renzi a besoin de maintenir l'idée qu'il représente la jeunesse et la nouveauté.»
Pragmatique, le Florentin sait parfois lâcher du lest ou accélérer sur certains textes lorsqu'une partie de son électorat commence à grogner. «Comme le réclamait la gauche, il vient de réintroduire le faux en bilan aboli par Silvio Berlusconi et, bien que catholique, il présentera prochainement un projet de loi pour les couples homosexuels», prédit ainsi Roberto D'Alimonte. Renzi a d'autant plus le champ libre qu'aucun candidat de la droite modérée n'a émergé des décombres du berlusconisme. Quant au Mouvement Cinq Etoiles de Beppe Grillo et à l'europhobe Ligue du Nord de Matteo Salvini, bien qu'en progression dans les sondages, ils ne semblent pas en mesure de disputer la primauté au président du Conseil. «Même si Renzi devait perdre trois régions, dont la Campanie, cela ne devrait pas changer grand-chose, pronostique le sociologue Luca Ricolfi. Il n'aura alors aucun scrupule à rejeter la défaite sur les candidats locaux en disant qu'il ne les a pas choisis.»