Un tiers de l'Irak et la moitié de la Syrie. Soit quelque 300 000 km2. C'est le territoire dont s'est emparé l'Etat islamique (EI), ce qui fait de ce nouveau «califat» le 11e «pays» arabe par sa superficie sur les 22 que compte la Ligue arabe. Un territoire conquis en repoussant les forces gouvernementales irakiennes et syriennes, mais aussi les autres groupes rebelles syriens. Dimanche, l'EI s'est approché de la frontière turque en prenant le village syrien de Sourane, et samedi un carrefour stratégique au sud de Palmyre, entièrement conquis le 21 mai. La route est désormais grande ouverte aux jihadistes entre la Syrie et l'Irak, via la province d'Al-Anbar, dont la capitale, Ramadi, est tombée entre leurs mains en mai. D'où l'urgence de la conférence sur l'Irak qui s'ouvre mardi à Paris, à laquelle participe le Premier ministre, Haïdar al-Abadi, et plusieurs chefs de la diplomatie. Si le débat semble nécessaire, les solutions sont loin d'être évidentes.
Comment expliquer la chute de la grande ville irakienne de Ramadi ?
Par la défection de l'armée irakienne, qui a refusé de combattre. D'où la colère américaine exprimée par le secrétaire à la Défense, Ashton Carter, qui, le 23 mai, a reproché à cette armée nationale «de n'avoir montré aucune volonté de se battre» pour défendre cette grande ville, alors que les soldats irakiens, a-t-il regretté, «dépassaient largement en nombre les forces adverses». Or, Ramadi est un carrefour stratégique qui ouvre sur la Syrie, la Jordanie, l'Arabie Saoudite et Bagdad. Cette fuite des soldats, après celle de Mossoul, la deuxième ville irakienne, en juin 2014, montre que l'armée irakienne, édifiée à coups de milliards de dollars par Washington, mais sur une base sectaire - ce sont essentiellement des soldats et officiers chiites qui la composent -, est à refonder.
Les milices chiites ont quant à elles repris en avril Tikrit, mais la ville était peu défendue. A Ramadi, la bataille sera beaucoup plus difficile. Jusqu’à présent, le Premier ministre irakien était contre faire appel aux milices chiites, regroupées au sein des «Unités de la mobilisation populaire», pour combattre à Ramadi, largement sunnite, craignant qu’elles n’aggravent encore les tensions sectaires. La chute de la ville et les pressions probables de son parti, Al-Dawa, une formation religieuse chiite, ont fait tourner casaque Haïdar al-Abadi. Mais le chef de la Mobilisation populaire, Hadi al-Amiri, très lié à Téhéran, semble très hésitant à les engager. On ne voit donc pas la ville reprise rapidement.
Pourquoi les raids aériens de la coalition ne stoppent-ils pas l’EI ?
«Une campagne aérienne ne peut jamais gagner une guerre», souligne un haut responsable diplomatique d'un pays arabe du Golfe participant à la conférence de Paris. Les 4 000 frappes sur les positions de l'EI ont ralenti la progression des jihadistes mais ne l'ont pas arrêtée. Ils ont su très vite s'adapter, sans doute conseillés par les ex-officiers de l'armée de Saddam Hussein qui ont rejoint l'EI dès sa création et avaient déjà l'expérience des frappes américaines.
Quelle solution pour repousser l’EI ?
La position défendue par plusieurs Etats arabes et les Etats-Unis est de mobiliser les tribus sunnites et de retourner celles qui ont rejoint l’EI. L’idée que des pays arabes interviennent au sol fait aussi son chemin, non pas avec de l’infanterie, mais des forces spéciales. Jusqu’ici, Bagdad a dit non, alors que les Gardiens de la révolution iraniens sont présents, eux, sur les différents fronts.
Faut-il cesser de demander le départ de Bachar al-Assad ?
Contrairement à ce qu'il répète, son régime ne constitue pas un rempart contre l'EI. A Palmyre, son aviation n'est que très peu intervenue, alors que les bombardements sont quotidiens à Alep. «Ces frappes à Alep n'ont pourtant aucun intérêt tactique, elles sont assimilables à une punition collective», note une source diplomatique. Durant l'année 2014, seules 6 % des attaques de l'armée syrienne ont visé l'EI, d'après un décompte du Centre britannique du terrorisme et d'insurrection Jane. Et seules 13 % de celles des jihadistes ciblaient le régime. Comme s'ils s'ignoraient, l'EI et l'armée syrienne ont en revanche dirigé la majorité de leurs actions contre les rebelles. Pour autant, le processus de transition souhaité par la France, qui passe par le départ de Bachar al-Assad et la mise en place d'un nouveau gouvernement, éventuellement avec des membres du régime actuel, est au point mort. «C'est pourtant la seule solution, y compris pour stabiliser l'Irak. Les jihadistes passent en Syrie pour échapper aux frappes de la coalition», poursuit la source diplomatique. Staffan de Mistura, envoyé spécial des Nations unies pour la Syrie, n'a pas obtenu plus de résultats. Une éventuelle transition pourrait voir le jour si la Russie, principal soutien du régime avec l'Iran, changeait de position. L'hypothèse n'est plus exclue, Moscou ayant montré des signes d'inquiétude quant à l'expansion de Daech.
Est-il possible de s’appuyer sur les rebelles syriens ?
En janvier 2014, les formations rebelles s'étaient alliées pour chasser l'EI du nord du pays. Les jihadistes avaient été contraints de se replier. Aujourd'hui, la prise de la quasi-totalité de la province d'Idlib par l'Armée de la conquête, la coalition la plus efficace de groupes rebelles, bloque les éventuelles tentatives de l'EI de s'y implanter. Pour autant, cette coalition, qui a reçu d'importantes livraisons d'armes de la Turquie (lire ci-contre), ne sera pas aidée par les pays occidentaux.