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Portrait

Jaime Rodríguez Calderón «Brute» et passe

Malgré des rumeurs de violences conjugales, cet homme politique qui cultive son look de rebelle et utilise habilement les réseaux sociaux est devenu le premier gouverneur «indépendant» du Mexique.
publié le 8 juin 2015 à 20h56

Un grand coup de botte dans le derrière des partis : c’est ce que «El Bronco» a décoché dimanche en devenant le premier gouverneur indépendant du Mexique. L’Etat du Nuevo León, l’un des plus riches du pays, s’est choisi un politicien sans attache, un cow-boy au franc-parler fleuri, qui se définit comme un rebelle.

Dimanche matin, Jaime Rodríguez Calderón, ingénieur agronome de 57 ans, montait en selle pour une dernière promenade électorale sous les flashs des photographes. Le soir, triomphal, il descendait de son cheval à Monterrey pour accorder «six ans de vacances» aux deux grands partis qui, de tout temps, ont tenu les rênes du pouvoir dans cette région de grands industriels et rancheros (propriétaires terriens).

El Bronco («la Brute»), le surnom qu'il aime employer pour parler de lui à la troisième personne, avait déjà dominé la campagne de sa présence massive et de son sourire éclatant, laissant peu d'espace à ses rivaux dans le flux continu de ses harangues à «la raza», le peuple qu'il considère comme sa tribu.

Sous des airs de cacique vieux jeu et de Chazz Palminteri grisonnant, se cache un stratège moderne dont la popularité a explosé sur les réseaux sociaux, à coups de messages secs et efficaces, habilement parsemés de tournures populaires et d'arrangements avec l'orthographe. Twitter palpite régulièrement de ses salutations rudimentaires : «Bonjour la tribu ! Dieu est grand, profitez à fond de la journée !» ou «On est des brutes et pas des mauviettes»

Depuis quelques mois, la Broncomania se répandait et les foules se pressaient sur son passage, bousculant les sondages et l’immense assise du bipartisme au Nuevo León. Entre le Parti révolutionnaire institutionnel (PRI, de centre droit) et le Parti d’action nationale (PAN, de droite), le cœur de l’électorat balançait à un rythme régulier.

Politicien rodé. Emblème d'un Mexique lassé de la corruption, Jaime Rodríguez est aussi le plus connu des 124 candidats indépendants autorisés à se présenter, pour la première fois. En bon populiste, ce faux rustre soigne son look ranchero et cisèle son argot comme il a façonné sa carrière, avec flair et préméditation.

Lors de la soirée électorale de dimanche, les commentateurs le comparaient à l’ancien président Vicente Fox, le grand moustachu au chapeau de cow-boy qui a gouverné le Mexique de 2000 à 2006, sans autre projet politique qu’en finir avec soixante et onze ans de domination absolue du PRI. Et Jaime Rodríguez Calderón s’est vu pronostiquer un avenir au sommet, en tant que futur premier candidat indépendant à la présidence.

Indépendant, El Bronco l'est devenu, poussé par les circonstances plus que par conviction. «Je n'ai jamais été un politicien», brama-t-il, opportuniste, lorsqu'il perçut la dégradation inéluctable de l'image des partis politique dans l'opinion mexicaine. Mais ce citoyen improvisé est en fait un politicien professionnel, rôdé aux rouages du système, confortablement bercé d'un poste à l'autre par le vieux PRI, son école et sa doctrine.

Pendant plus de trente ans, il a appartenu à la classe politique contre laquelle il s'insurge - ou prétend s'insurger - désormais. Il n'est sorti du sillon «priiste» que lorsque son parti lui a refusé la candidature de gouverneur, décernée à Ivonne Alvarez. L'ancienne présentatrice télé est aujourd'hui le visage penaud et défait du système. 46 % contre 29 % : c'est le score par KO des citoyens contre le PRI. «Un exemple pour le Mexique endormi», a tweeté le vainqueur.

Le «modèle García». A peine égratigné par les rumeurs de violences conjugales dont il serait l'auteur, El Bronco s'est engagé, dès lundi, à jeter son prédécesseur en prison «s'il a volé». Le gouverneur sortant, Rodrigo Medina de la Cruz, est accusé de corruption, de blanchiment d'argent et d'enrichissement illicite. Sa déchéance avait préparé le terrain à l'irruption d'El Bronco, l'homme qui promet de terrasser le crime.

Jaime Rodríguez Calderón affirme vivre des recettes de son ranch, où il cultive des plantes ornementales. Après avoir été député, il fut maire de Villa-García, bourgade rurale de 150 000 âmes à l’ouest de Monterrey, la capitale de l’Etat. Là, il a inauguré le «modèle García», bâti sur trois axes : sécurité, éducation et emploi. A deux reprises, en 2011, il a été la cible des balles des cartels, après avoir, selon lui, coupé les routes du narcotrafic et licencié des policiers corrompus. Plusieurs milliers de douilles auraient été ramassées sur les lieux de ces embuscades, dont Jaime Rodríguez Rodriguez est sorti indemne. Mais selon ses adversaires, le récit magnifié de ces attentats fait partie de la légende Bronco.