C’est l’une de ces crises politico-judiciaires dont la Roumanie a le secret. Accusé par le parquet anticorruption (DNA) de faux, complicité d’évasion fiscale et blanchiment d’argent, le Premier ministre social-démocrate, Victor Ponta, refuse de démissionner.
Le Parlement, dominé par sa majorité de centre gauche, bloque la levée de son immunité parlementaire. Les faits qu’on lui reproche remontent à 2007–2008, Victor Ponta aurait touché de l’argent d’un avocat qu’il a nommé quelques années plus tard ministre dans son gouvernement. Le socialiste se proclame innocent et accuse l’opposition de centre droit de vouloir profiter de ses démêlés judiciaires pour renverser le gouvernement.
L’artillerie lourde
Sa mise en accusation n'est pas une surprise totale dans un pays où la lutte contre la corruption est devenue l'élément clé de la réforme de l'Etat. «Seul le DNA pourrait changer le gouvernement avant les élections, prévues en 2016», avait affirmé de manière prémonitoire Victor Ponta quelques semaines avant ces événements.
En effet, depuis environ un an, le DNA a sorti l'artillerie lourde et les matinées des Roumains sont rythmées par les descentes télévisées des procureurs : le ministre des Finances démissionne après avoir été arrêté pour blanchiment d'argent, le maire de Constanta, la deuxième ville du pays, dort lui aussi en prison, accusé d'avoir touché 9 millions d'euros de pots-de-vin alors que le maire du Ve arrondissement de Bucarest aurait, lui, bénéficié illégalement de 20 millions d'euros… La liste de hauts responsables qui ont aujourd'hui des ennuis avec la justice compte des dizaines de personnes.
Créé avant l'adhésion de la Roumanie à l'Union européenne, en 2007, le DNA jouit d'une popularité grandissante (60% des Roumains approuvent ses actions), mais il est beaucoup moins bien vu par certains politiciens. «Nous avons créé un monstre», soupire un homme politique en écartant son téléphone portable loin de lui, par crainte que celui-ci ne soit placé sur écoute. Le DNA coopère de manière étroite avec le SRI (service de renseignements interne) et, souvent, des comptes rendus de conversations téléphoniques où les politiciens arrangent des affaires pas nettes sont divulgués dans la presse. Conséquence : les hommes politiques craignent de se retrouver devant le DNA et il n'est pas rare de voir des initiatives visant à couper les ailes du «super-parquet».
D'ailleurs, en ce moment même, le Parlement se penche à toute vitesse sur un paquet d'une vingtaine de modifications du code pénal, provoquant la stupeur des ONG qui suivent de près le système judiciaire. «Je suis très inquiète, affirme Laura Stefan, de l'ONG Expert Forum. La Roumanie est aujourd'hui un modèle dans la lutte anticorruption, il ne faut pas changer ce qui fonctionne.»
«Les écuries d’Augias»
«En espace de quelques années, la Roumanie est passé d'un extrême à l'autre, d'un pays où l'on pouvait faire des affaires louches en toute impunité à un pays où quelques dizaines de procureurs nettoient en force les écuries d'Augias», commente un diplomate occidental, soulignant que «des politiciens qui avaient l'habitude de mélanger l'intérêt public et le privé ont aujourd'hui peur».
Une peur qui a néanmoins des effets pervers, dont un quasi-blocage de l'administration, car les fonctionnaires ne signent plus grande chose par peur de se retrouver devant le DNA. Conséquence : le pays se retrouve en excédent budgétaire, même s'il y a un besoin énorme d'investissements publics. «Les fonctionnaires de tous les niveaux sont tétanisés par la peur de se retrouver en prison», affirme Constantin Rudnichi, journaliste économique.
Alors que le quotidien est bouleversé par l'action des procureurs, confirmée en grande partie jusqu'à présent par les décisions des juges, la classe politique se pose la question de sa survie. «La Roumanie qu'on a connue est en voie de disparition, la grande question est de qui va assurer la relève», commente l'analyste Dorel Sandor. Il y a plein de gens capables, honnêtes et professionnels dans ce pays, mais on vit dans une telle ambiance de manque de confiance, qu'on a du mal à construire de projets ensemble.»
En attendant la Roumanie de demain, la nouvelle crise complique la situation aujourd'hui. «Même si Victor Ponta se déclare innocent, il doit céder, estime un officiel européen, sinon il se retrouvera toujours plus isolé et cette crise risque d'affecter durablement la crédibilité européenne de la Roumanie et de mettre en péril son adhésion a l'espace Schengen.»