Dans la galaxie jihadiste, Al-Qaeda dans la péninsule arabique (Aqpa) est une organisation phare, l'une des plus efficaces, des plus dangereuses, des mieux organisées, avec une double vocation : la lutte sur le terrain yéménite et les opérations terroristes extérieures, comme l'a montré sa revendication en janvier de l'attaque contre Charlie Hebdo. Et son chef Abou Bassir Nasser al-Wahaychi était considéré comme l'un des meilleurs stratèges du jihadisme, autrement plus efficace, influent et charismatique que le très fumeux Mokhtar Belmokhtar, également visé par une frappe ce week-end. Au point que les Etats-Unis avaient promis 45 millions de dollars pour sa capture et celle de sept autres dirigeants de l'organisation. Mardi, AQPA a confirmé la mort d'Al-Wahayshi, tué semble-t-il la semaine dernière par la frappe d'un drone américain dans le port yéménite de Moukallah, la capitale de la grande province de l'Hadramaout, dont les islamistes s'étaient emparés il y a quelques mois.
Le successeur déjà désigné: Kassim al-Raïmi
«Nous, Al-Qaeda dans la Péninsule arabique, annonçons avec douleur à la nation musulmane […] qu'Abou Bassir Nasser ben Abdoul Karim al-Wahaychi, que Dieu ait son âme, a trouvé la mort dans une frappe américaine qui l'a visé ainsi que deux de ses frères combattants, que leurs âmes reposent en paix», a indiqué un porte-parole d'Aqpa sur une vidéo mise en ligne par l'organisation. Preuve de l'efficacité du groupe jihadiste, son successeur a immédiatement été désigné par une choura (conseil) : Kassim al-Raïmi, jusqu'ici commandant militaire d'Aqpa.
Al-Wahayshi est le sixième haut commandant d’Aqpa vraisemblablement tué cette année par une frappe américaine au Yémen, même si les Etats-Unis n’ont pas confirmé leur implication. En 2011, l’imam yéméno-américain Anouar al-Aulaqi (qu’avait rencontré semble-t-il un frère Kouachi) avait été éliminé. Fin 2012, un autre drone avait assassiné le numéro 2 d’Aqpa, le Saoudien Saïd al-Chehri, un ancien de Guantánamo, qui était passé par un programme de réhabilitation dans son propre pays.
Il a connu Oussama ben Laden à 20 ans
Al-Wahayshi était un proche d’Oussama Ben Laden - son père est né dans l’Hadramaout, d’où est aussi originaire la famille du défunt chef d’Al-Qaeda. Il l’avait rencontré dès 1998, à l’âge de 20 ans. Il en devint l’aide de camp, jusqu’en 2001, quand le groupe se dispersa après l’invasion de l’Afghanistan par l’armée américaine, consécutive aux attentats du 11 septembre contre New-York et Washington.
Emprisonné ensuite au Yémen, il s’échappe de sa cellule en 2009 et devient le chef d’Aqpa, qui est en pleine recomposition après la réunion des branches saoudienne et yéménite d’Al-Qaeda. La première, exsangue après la forte répression qui a répondu à la campagne sanglante des jihadistes (2003-2005), décide de quitter l’Arabie Saoudite pour ne pas disparaître. La fusion se passe bien : la première apporte financements et savoir-faire, la seconde fournit plutôt les hommes de main et les infrastructures nécessaires à la survie de l’organisation.
Ce qui fait la force d’Aqpa, c’est qu’elle a de forts points d’ancrage dans les régions tribales, notamment celle de Marib, le pays de la légendaire reine de Saba. Profitant du profond conservatisme de l’Hadramaout, qui lui fournit une base religieuse importante, le groupe s’empare du sud et sud-est du Yémen, dont la région d’Abyane.
17 morts dans l’attentat du «USS Cole» en 2000
En juillet 2011, lorsqu'Al-Wahaychi proclame son allégeance à Ayman al-Zawahiri, nouveau chef d'Al-Qaeda après la mort de Ben Laden, sa réputation n'est plus à faire : en 2009, un kamikaze d'Aqpa avait failli tuer le ministre saoudien de l'Intérieur Mohammed ben Nayef, en se faisant exploser en sa présence. Pour le jour de Noël 2009, Aqpa a tenté de faire exploser un avion de ligne américain. En novembre 2010, il revendiquait l'envoi de colis piégés aux Etats-Unis et l'explosion d'un avion-cargo américain, deux mois plus tôt, à Dubaï. Mais son plus gros coup est l'attentat contre le destroyer américain USS Cole, le 12 octobre 2000, dans le port d'Aden (sud du Yémen), qui tua 17 marins.
Tant qu’Ali Abdallah Saleh était au pouvoir au Yémen, l’organisation islamiste ne pouvait que se développer à la marge. Sa chute, début 2012, davantage provoquée par des antagonismes tribaux que par une véritable insurrection populaire, permet à Aqpa de profiter de la situation chaotique qui s’installe, avec une guerre politico-religieuse qui a provoqué l’intervention de l’aviation saoudienne et d’une dizaine d’alliés.
L'une des spécificités d'Aqpa est l'accueil et la formation des volontaires étrangers, dont les Européens. Un magazine en anglais, Inspire, a même été lancé avec le but de susciter des vocations de «loup solitaire» à l'étranger. C'est cette publication qui avait incité ses lecteurs à mener des attentats en France. En 2013, il avait inscrit Charb, le directeur de la publication de Charlie Hebdo, sur sa liste de personnes à abattre. Aux côtés de Salman Rushdie.