Il s'était retiré dans l'ombre. Avait quitté le Royaume-Uni pour New York en catimini, en 2012, humilié par le scandale des écoutes illégales pratiquées par les journaux qu'il dirigeait. Certains l'avaient même dit : James Murdoch était fini, rayé de la carte des héritiers.
Mais c’était mal connaître son père Rupert Murdoch, 84 ans, et sa détermination à assurer la stabilité et la pérennité de l’empire médiatique qu’il a créé, il y a plus de soixante ans, depuis son Australie natale. Le comité d’entreprise de la 21st Century Fox l’a confirmé mardi: James Murdoch, 42 ans, prendra le 1er juillet prochain la succession de son père comme directeur général de la compagnie, alors que son frère aîné, Lachlan, 43 ans, devient co-président aux côtés de son père. 21st Century Fox compte, parmi ses nombreux joyaux, la télé américaine Fox News, ainsi que les studios hollywoodiens X-Men et Fox TV, qui produit des séries et émissions télévisées à succès. Le groupe détient aussi quelque 40% de la télé britannique Sky Television.
Mais le véritable patron, celui qui gèrera les opérations de l'empire, sera bien James, même si nul ne doute que Rupert Murdoch restera très impliqué. « Cela a toujours été une priorité de garantir la stabilité, une direction pérenne de l'entreprise et ces nominations permettent d'atteindre cet objectif », a déclaré Rupert Murdoch dans un communiqué en soulignant le « talent » de ses deux fils. Ces derniers ont répliqué en se disant « humblement honorés par ces nominations ».
«Un saladier en platine dans la gueule»
James Murdoch n'est pas un débutant. Il ne descend pas de son yacht en provenance des Caraïbes. Et il est bien plus qu'un simple héritier, né – comme l'a un jour souligné un employé du groupe – « non pas avec une cuillère en argent dans la bouche, mais un saladier en platine dans la gueule ». Impliqué depuis l'âge de 30 ans dans le groupe fondé par son père, il a gagné la réputation d'un bon gestionnaire, doté d'une capacité de vision à long-terme. C'est lui notamment qui a engagé l'opérateur de télé BSkyB, l'un des fleurons de l'empire, sur la voie du numérique.
Il est le quatrième des six enfants, issus de trois mariages, de Rupert Murdoch. Elisabeth, 46 ans, Lachlan et James, issus de son second mariage avec la journaliste Anna Torv, sont sans doute les plus connus.
Pendant des années, les rumeurs sur l’«élu», celui qui succéderait à son père, ont alterné entre James et Lachlan. Mais James Murdoch est le seul à avoir accompli presque toute sa carrière au sein du groupe fondé par son père. Lachlan avait choisi de s’en éloigner pendant un temps et s’était exilé en Australie, où il a développé des activités dans les médias et l’immobilier, alors qu’Elisabeth vit à Londres et n’a, pour la moment, pas réintégré le groupe familial. Même si elle aussi travaille dans les médias.
Austérité et karaté
Bien moins adepte de la lumière et des flashes que son père, James Murdoch a la réputation d’être un peu austère. Ceinture noire de karaté, il n’a jamais aimé fréquenter les soirées en vue et préfère la compagnie de ses trois enfants, qu’il a eus avec son épouse américaine Kathryn Hufschmid.
La première fois qu'il est apparu dans les médias, c'était à l'âge de quinze ans. Il avait été photographié endormi dans un canapé du Sydney Mirror, un journal appartenant à son père, où il faisait son stage. Le Sydney Herald Mirror, le quotidien rival, s'était fait un plaisir de publier la photo volée. L'ironie n'aura sans doute pas échappé à James qui dirigera ensuite le plus gros groupe de tabloïds britanniques, adeptes des scoops volés en tout genre.
Il a engagé des études de cinéma à Harvard qu’il n’a jamais terminées, choisissant de fonder avec des amis Rawkus Record, une compagnie d’enregistrement de disques de hip-hop. La compagnie sera rachetée par… le groupe de Rupert Murdoch, et James rejoindra l’entreprise familiale.
C'est à Londres et à la tête de News International, la branche britannique du groupe dont il prend la tête en 2003, qu'il se fera un prénom. Sous sa direction, les abonnements à Sky augmentent de plus d'un million. Il y développe le réseau internet à haut débit, des services téléphoniques et les journaux qu'il dirige – le Times, le Sunday Times, le Sun, News of the World – sont les plus lus et les plus vendus au Royaume-Uni.
De manière moins visible que son père, qui avait été surnommé le «faiseur de roi » pour avoir ouvertement fait campagne dans le Sun en 1997 pour l'élection de Tony Blair, après des années de soutien aux conservateurs, il fréquente tout de même l'élite politique du pays. Passe un déjeuner de Noël avec David Cameron.
Prestation lamentable
Et puis vient la chute. En 2011, le Guardian révèle que News of the World et le Sun ont, pendant des années, écouté illégalement les messageries téléphoniques de célébrités mais aussi d'anonymes pour obtenir des scoops. Sous la pression de l'opinion publique, le Premier ministre David Cameron ordonne une enquête. Qui met en lumière un vertigineux éventail de comportements douteux, voire illégaux. Des policiers, des politiques ont été payés pour obtenir des renseignements. Le scandale est tel que James et Rupert Murdoch annoncent la fermeture de News of the World en juillet 2011, après 168 ans d'existence.
Convoqué à deux reprises devant une commission parlementaire, puis devant l’enquête Leveson sur les écoutes illégales, James Murdoch livre une prestation lamentable. Il explique n’avoir jamais rien vu, rien entendu et ne s’être même jamais posé la question de la raison pour laquelle il signait régulièrement des chèques à des informateurs.
Au printemps 2012, il démissionne de ses fonctions à la tête de BskyB et rejoint New York et la Fox. En septembre de la même année, un rapport de l'Ofcom, le régulateur audiovisuel britannique, avait lâché une critique acérée de James Murdoch, coupable à ses yeux « d'une conduite loin, très loin du standard attendu d'un directeur général et d'un président ».