La pilule a du mal à passer, mais elle devrait être avalée : même si «l'enthousiasme des Etats membres pour partager l'effort que nous demandons n'est pas époustouflant», comme l'a noté récemment Jean-Claude Juncker, ils devraient accepter d'ici juillet le principe d'une répartition obligatoire du traitement des demandes d'asile. Placés devant leurs responsabilités par un président de la Commission décidément très offensif, et par les Etats de la «ligne de front», comme l'Italie et la Grèce, débordés par l'afflux de migrants et de réfugiés, une majorité d'Etats membres semblent se rallier à ce mécanisme.
Goutte d’eau
Cela ne les empêche pas de pinailler sur les modalités, comme l’a montré, mardi, un conseil des ministres de l’Intérieur et de la Justice à Luxembourg. Bon point : l’Irlande et le Danemark, qui bénéficient pourtant d’une dérogation dans le domaine de l’immigration et de l’asile (comme la Grande-Bretagne) seraient aussi prêts à participer à l’effort commun, comme la Suisse, la Norvège et le Liechtenstein, membres de l’Espace Economique Européen (EEE). En revanche, les pays d’Europe de l’Est, emmenés par la Pologne, et l’Espagne (davantage devant les caméras que devant ses partenaires) continuent de s’opposer à ce que le mécanisme soit obligatoire.
Un égoïsme national difficile à comprendre alors que la proposition de la Commission est pour le moins limitée : elle ne concerne que les demandeurs d’asile et non les migrants économiques et ne s’applique qu’à deux nationalités, les Syriens et les Erythréens, soit 40 000 personnes en tout (26 000 transférés d’Italie et 14 000 de Grèce). Une goutte d’eau comparée aux 219 000 personnes arrivées dans l’Union en 2014 via la Méditerranée, qui sont eux-mêmes une toute petite goutte d’eau au regard des 500 millions d’Européens : 0,0004 % de la population de l’Union, a ainsi calculé le Canadien François Crépeau, rapporteur spécial de l’ONU pour les droits des migrants.
Celui-ci a d'ailleurs plaidé, lundi à Genève, pour une plus grande ouverture des frontières de l'Union en comparant la politique actuelle des Etats européens aux fiascos de la «guerre contre la drogue» ou de la «prohibition de l'alcool aux Etats-Unis dans les années 20».
Surtout, il n’est nullement question d’obliger les Etats à accorder l’asile, ce qui reste encore une prérogative nationale, mais tout simplement de les contraindre à examiner un certain nombre de dossiers de demandes d’asile afin de ne pas laisser toute la charge à la Grèce et à l’Italie. Autrement dit, chaque pays restera libre d’accorder ou non l’asile et le séjour. Un premier tri sera effectué dans le pays de premier accueil afin d’écarter les dossiers qui relèvent clairement de la migration à but économique. La répartition se fera ensuite entre les Etats selon une clef pondérée sur plusieurs critères : PIB (40 %), population (40 %), taux de chômage (10 %) et nombre de demandes d’asile déjà enregistrées (10 %). Ainsi, l’Allemagne devrait accueillir 21,91 % des 40 000 demandeurs d’asile syriens et érythréens, soit 8 763 personnes, la France 16,88 %, (6 752 personnes), l’Espagne, 10,72 % (4 288 personnes), la Pologne 6,65 %, (3 310), etc. Les demandeurs qui n’obtiendront pas l’asile devront être reconduits à la frontière. Cette clef devra sans doute être modifiée afin de tenir davantage compte des efforts accomplis, comme le réclament l’Allemagne et la France, ce que la Commission est prête à accepter.
Assumer
Mais la mauvaise volonté des pays d'Europe de l'Est, qui accueillent pourtant très peu de réfugiés (en dehors de la Hongrie, totalement débordée), pose un vrai problème : peut-on les contraindre à accepter sur leur sol des demandeurs d'asile dont ils ne veulent pas ? Qui les acheminera dans ces pays et comment seront-ils traités ? La répartition obligatoire du traitement des demandes d'asile pourrait, au final, ne concerner que les pays volontaires pour jouer le jeu… Libre à l'Espagne et aux pays d'Europe de l'Est d'assumer politiquement et diplomatiquement leur égoïsme national, eux qui ont pourtant su profiter de la solidarité européenne pour rattraper leur retard économique… «Il s'agit de respecter les droits de l'homme», leur a rappelé, le 4 juin, Jean-Claude Juncker : «Celui qui pour des raisons économiques quitte son pays, celui qui pour des raisons politiques quitte son pays, a droit au respect de sa dignité propre. Il s'agit de l'idée que nous nous faisons de l'Homme […]. La Commission ne changera pas d'avis en dépit de la résistance et de l'opposition de certains Etats membres.»