Si ce n'est pas une course à l'armement, cela peut commencer à y ressembler. Du moins dans la rhétorique et les intentions. Il y a quelques jours, le quotidien américain The New York Times a révélé que le Pentagone est en train d'étudier un projet de déploiement d'armes lourdes en Europe de l'Est.
Mardi, Vladimir Poutine a profité de l'inauguration d'un grand salon militaire non loin de Moscou pour annoncer que la Russie allait renforcer sa force de frappe nucléaire. «Cette année, plus de 40 nouveaux missiles balistiques intercontinentaux, capables de résister aux systèmes de défense anti-aérienne les plus sophistiqués, seront déployés au sein des forces nucléaires russes», a déclaré le président russe, tout en saluant la mise en service de toute une série de nouveaux engins hypersophistiqués, dont un sous-marin lanceur d'ogives nucléaires, le Vladimir Monomaque.
Une riposte aux projets américains
Pour l'Otan, ces propos sont belliqueux — le secrétaire général Jens Stoltenberg les a jugés «déstabilisants et dangereux». Soit. Mais contiennent-ils quelque chose de radicalement nouveau ? «Le déploiement des missiles dont a parlé Vladimir Poutine était prévu, il relève du programme de réarmement pour 2020 [lancé en 2011, ndlr]. Il n'y a là aucune surprise», a commenté le directeur du Centre d'étude des tendances stratégiques, Ivan Konovalov. Volontiers provocateur, Poutine a donc simplement présenté un déploiement nucléaire qui était de toute façon au programme comme une décision récente, une riposte aux projets américains.
Pour l'expert miliaire Pavel Felgenhauer la nouveauté est ailleurs : « la nouvelle, ce n'est pas la fabrication des missiles, c'est qu'il y en ait moins que prévu au départ. Il devait y en avoir plus de 50. Ça veut dire qu'il y a des problèmes soit financiers, soit technologiques », suppose-t-il.
Une stratégie héritée de la guerre froide
En plus de frimer avec ses nouvelles fusées, Poutine a également rappelé, un peu plus tard dans la journée de mardi, que la Russie se tenait prête à se défendre contre l'Otan qui «arrive à ses frontières». «Si quelqu'un place sous la menace certains de nos territoires, nous devons pointer nos forces armées et notre force de frappe vers les territoires d'où vient la menace», a-t-il prévenu.
Là encore, Poutine a recours à la stratégie de la corde raide, héritée de la guerre froide, qu'il utilise allègrement et de plus en plus, à mesure que les relations avec l'Occident se détériorent sur fond de crise ukrainienne. «Mais pour que cette stratégie fonctionne, il faut être crédible, prévient Felgenhauer. C'est-à-dire paraitre suffisamment fou pour avoir recours à une arme de destruction massive qui anéantira la Russie aussi. Il faut surtout que le potentiel nucléaire soit pris au sérieux. C'est pourquoi le nucléaire est considéré comme essentiel dans le programme de réarmement qui est en cours actuellement.»
Le budget militaire russe représente aujourd'hui 21% du budget total de la Russie, il a doublé par rapport à 2010. Pour moderniser son arsenal, Moscou compte dépenser plus de 331 milliards d'euros d'ici à 2020. «Mais la crise ukrainienne n'y est pour rien, assure Konovalov. La confrontation actuelle avec l'Occident n'a aucune incidence sur le plan de réarmement. Il n'y a pas de dépenses supplémentaires, tous les contrats qui sont réalisés en ce moment ont été conclus plus tôt. Le programme d'Etat pour 2020 n'a pas été modifié, aucun nouveau point n'est apparu. L'objectif est de renouveler à 70% tout l'arsenal militaire.» Car la Russie se prépare, à plus long terme, à une guerre totale pour les ressources. «L'Etat-major russe l'a pronostiquée pour après 2025, rappelle Felgenhauer. Le Kremlin est convaincu que la Russie sera attaquée de tous les côtés, à l'arme nucléaire notamment, d'où la nécessité de se préparer.»
Joute verbale
Pour l'heure, comme à son habitude, Moscou pointe du doigt Washington et l'accuse d'entrainer la Russie dans une course aux armements dont elle ne veut pas. «La Russie tente d'une façon ou d'une autre de réagir aux menaces potentielles, mais sans aller au-delà. […] Nous sommes opposés à toute course aux armements car cela affaiblirait nos capacités économiques. Nous sommes contre cela par principe», a affirmé le conseiller du Kremlin Iouri Ouchakov lors d'un point presse.
Pour Konovalov, nous ne sommes qu'à l'étape d'une joute verbale : «Si les Etats-Unis installent vraiment leurs armes lourdes en Europe de l'Est, alors la Russie aura une réponse proportionnelle, c'est évident. Mais pour l'instant, il s'agit plutôt d'une guerre de nerfs, analyse l'expert. Cette guerre est d'ailleurs provoquée et entretenue par les Américains, qui tâtent les positions de la Russie pour voir jusqu'où ils peuvent aller dans la confrontation.»