Il s'agit d'un «crime raciste», a affirmé sans détours le chef de la police de Charleston, Gregory Mullen, au cours d'une conférence de presse. Mercredi soir, un tireur blanc a fait neuf morts dans une église de la communauté noire de cette coquette ville de l'Etat de Caroline du Sud, au sud-est des Etats-Unis. La police est toujours à la poursuite du suspect, qui a fait feu pendant une séance d'étude de la Bible dans l'une des plus vieilles églises noires de la ville, l'Emanuel African Methodist Episcopal Church.
Sophie Body-Gendrot, chercheuse au CNRS et au Centre de recherche sociologique sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), est américaniste et politologue. Elle est spécialisée sur les questions de désordres et d’émeutes dans les espaces publics des grandes villes, les minorités et les discriminations.
Outre les récentes violences policières à Ferguson ou Baltimore, y a-t-il eu des crimes racistes comparables récemment aux Etats-Unis ?
Le racisme est persistant dans le pays. L’anthropologue Elijah Anderson, qui enseigne à Yale tout de même, m’a plusieurs fois raconté les fréquents cas de racisme ordinaire qu’il subit, tout comme ses élèves noirs. Des voisins qui appellent la police parce qu’un Noir est devant chez eux pour les cambrioler, pensent-ils, alors qu’il est en train d’attendre le bus… Même si les déclarations dans les sondages changent, et qu’environ deux tiers des Noirs américains sont aujourd’hui proches de la classe moyenne, les taux de mariages interraciaux, par exemple, restent très bas. Et il reste toujours ce tiers de Noirs américains qui fait peur, et qui n’a pas de dispositif pour s’en sortir. Ce qui, bien sûr, ne veut pas dire qu’il va basculer dans la violence.
Ce racisme persiste, alors qu’il y a un président noir à la tête du pays ?
N’oubliez pas qu’Obama est métis, et vu comme tel dans le pays. Tout le monde sait que c’est sa mère blanche qui l’a élevé. Il a un profil plus mixte, il n’est pas vu par les Blancs comme un Afro-Américain qui s’est toujours battu pour le respect des droits civiques. Aujourd’hui, des Noirs occupent tous types de fonctions dans la société, même celles les plus valorisées socialement - professeur, médecin, avocat… Les Noirs sont partout, mais un Blanc voit toujours le ghetto quand il voit un Noir, même un Noir qui réussit très bien.
Les tensions raciales sont-elles fréquentes en Caroline du Sud ?
C'est le Sud, comme Ferguson [au Missouri, ndlr]. C'est encore la mentalité de la frontière. On ne peut pas dire pourquoi cet individu a fait ça à Charleston : problèmes mentaux ? Mouvement sectaire ? Nous n'avons pas assez d'informations. Ce que je sais, c'est ce que j'ai étudié dans le cas de Ferguson, en épluchant les rapports de police : un Noir seul dans un parc est forcément inculpé pour pédophilie. Ça, c'est le Sud, le Sud profond. Il y a un boulot considérable… Il y a quelques années, on avait vu la résurgence du Ku Klux Klan en Caroline du Sud. Ce sont surtout des gens qui ont peur, qui se sentent menacés par l'altérité, qui ont reçu des formes d'éducation peu progressistes, qui restent dans un entre soi…
Ce drame peut-il avoir un écho dans la campagne pour les primaires américaines, notamment sur la question des armes ?
Absolument pas. Il y a tellement d’armes en circulation, il faudrait évidemment poser le problème. Mais cette question est bloquée de tous les côtés. Aujourd’hui aux Etats-Unis, il y a plus de gens qui défendent le port d’arme que de gens qui s’y opposent. Regardez ce qu’il se passe après un massacre dans une école : on pose le débat, mais une fois que l’émotion retombe, ça ne va pas plus loin.