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Analyse

Le parlement de Hongkong défie Pékin

Les députés prodémocrates ont rejeté ce jeudi la réforme électorale qui avait déclenché la Révolution des parapluies à l'automne.
La député prodémocrate Claudia Mo, brandissant un parapluie jaune symbole du mouvement «Occupy Central», après le vote au parlement, le 18 juin. (Photo Bobby Yip. Reuters)
publié le 18 juin 2015 à 14h28

C'est un véritable défi au pouvoir central chinois qu'ont lancé ce jeudi matin les députés prodémocrates du parlement de Hongkong, en rejetant un projet de réforme électorale qui permettait au Parti communiste d'imposer les candidats à l'élection du chef de l'exécutif local.

A première vue, c’est pourtant une avancée démocratique qui a été rejetée par l'ancienne colonie britannique redevenue chinoise en 1997 sous la formule «Un pays, deux systèmes». La loi qui était discutée cette semaine devait accorder le droit de vote à tous les Hongkongais majeurs pour l’élection du prochain chef de l’exécutif, jusque-là désigné par un comité de 1200 grands électeurs majoritairement pro-Pékin.

Le hic, c'est que sous le couvert de la démocratie promise, le pouvoir central chinois gardait la main sur le processus de décision, en limitant le nombre de candidats à «deux ou trois» présélectionnés pour leur «patriotisme» et leur «amour de la Chine».  Même s'il y avait peu de chances que le texte, qui nécessitait la majorité des deux tiers des 70 députés, soit adopté, l'échec cuisant des manifestations antichinoises dimanche –  seul un millier de personnes avait répondu à l'appel, au lieu des 50 000 attendus (1) – avait semé le doute sur l'unité des prodémocrates dans le rejet du projet.

«Le réalisme face à l’idéalisme»

Hongkong en revient donc au point de départ, et si rien ne se passe, le prochain chef de l'exécutif sera de nouveau élu par le collège prochinois, en 2017, et non au suffrage universel. Les deux camps se renvoient déjà la responsabilité de l'échec, le gouvernement actuel, qui prônait «le réalisme face à l'idéalisme», ayant beau jeu de critiquer le refus d'une réforme électorale présentée comme démocratique; les prodémocrates, eux, accusant Pékin d'avoir cherché à imposer «une parodie de démocratie».

«La marge de manœuvre est désormais étroite, analyse Jean-Pierre Cabestan, professeur à l'Université baptiste de Hongkong. Les contacts vont sans doute reprendre entre Pékin et les démocrates, mais Pékin peut très bien se satisfaire du status quo. Je vois mal Xi Jinping, le président chinois, revenir sur la décision du 31 août 2014.»

Ce jour-là, l'Assemblée nationale populaire chinoise avait publié le décret limitant le nombre de candidats et imposant un «Comité de nomination». Une décision qui avait déclenché la «révolution des parapluies», qui avait secoué le territoire de 7,5 millions d'habitants durant neuf semaines. Après avoir employé des méthodes de répression brutales qui avaient décuplé la mobilisation, les autorités chinoises avaient opté pour une stratégie de pourrissement qui avait fini par réduire à néant la contestation, et n'avaient pas changé un mot au projet de réforme électorale.

«Investir dans le social»

La nouvelle stratégie de Pékin allie désormais le refus de compromis sur les questions politiques à l'évitement des brutalités policières. L'enjeu, pour le PC chinois, dépasse Hongkong, car la même formule «un pays, deux systèmes» est proposée à Taïwan, petite «République de Chine» qui a toujours rejeté l'idée d'une réunification. «Pékin peut chercher à reprendre la main sur les programmes sociaux, investir dans le social pour regagner le terrain politique perdu, en vue d'emporter les deux tiers des sièges au Parlement lors des législatives de 2016, et de faire passer la réforme électorale, reprend Jean-Pierre Cabestan. L'opinion publique est divisée, et il faudra attendre l'automne pour que la société civile et les étudiants se réorganisent et que la mobilisation reprenne.»

En octobre, l'actuel chef de l'exécutif Leung Chun-Ying assurait au Financial Times : «Des élections réellement démocratiques sont inacceptables, parce que ce sont les voix de ceux qui gagnent moins de 1 400 euros, soit la moitié de la population, qui l'emporteraient».  

(1) L'ex-colonie britannique est le seul endroit en Chine où les citoyens disposent de la liberté de parole et de manifestation, garanties par l'accord sino-britannique sur la rétrocession du territoire signé en 1984.