On l'appelle le Davos russe, mais ce surnom, qui avait du sens à l'époque où le PIB de la Russie affichait quelque 10% de croissance, en a perdu depuis que son économie est entrée en quasi-sommeil sous le double coup de la baisse du prix du pétrole et des sanctions internationales imposées pour la punir de son attitude à l'encontre du voisin ukrainien. La 19e édition du Forum économique de Saint-Pétersbourg, réunie du 18 au 20 juin, est donc un événement plus politique qu'économique. Pour la Russie, l'unique enjeu est de montrer au monde qu'elle n'est pas frappée par ces sanctions et qu'elle n'est pas isolée sur le plan diplomatique.
Ce sommet économique se tient dans un contexte très particulier, à quelques jours d’une réunion des ministres des Affaires étrangères des pays membres de l’UE qui doit avaliser le renouvellement jusqu’en janvier des mesures limitant l’accès aux marchés financiers de cinq grandes banques russes, trois firmes pétrolières et trois entreprises d’armement russes autorisées mercredi dernier par les ambassadeurs européens réunis à Bruxelles. Alors qu’il aurait suffi d’une voix pour faire capoter la mesure, aucun pays ne s’est opposé à la reconduction des sanctions, qui de plus bannit du territoire européen un certain nombre de personnalités russes. Pas même la Grèce, dont le Premier ministre Aléxis Tsípras a été l’invité d’honneur du Forum de Saintt-Pétersbourg.
Mais n’y a-t-il pas eu des accords signés ? N’est-ce pas un signe que la coopération continue ?
Effectivement, il y a eu plusieurs accords, notamment dans le domaine de l’énergie. Le géant gazier russe a annoncé jeudi l’extension du gazoduc Nord-Stream qui rejoint l’Allemagne en contournant l’Ukraine sous la mer Baltique en coopération avec l’allemand Eon, le néerlandais Shell et l’autrichien OMV. Et vendredi, le ministre grec de l’Energie, Panayótis Lafazánis, a paraphé un accord négocié depuis des mois pour prolonger sur le territoire grec le projet de gazoduc TurkStream entre la Russie et la Turquie. Le coût du projet, en principe cofinancé, est de 2 milliards de dollars. Si ces deux contrats ont un effet bénéfique sur le moral de la partie russe, il faut toutefois noter que dans les deux cas, il s’agit de protocoles d’entente, ce qui limite d’entrée de jeu leur portée.
Manque de chance, le sommet économique s’est ouvert au moment où on apprenait que la France et la Belgique venaient de geler les actifs de sociétés russes à la suite d'un arrêt de la cour de justice de La Haye sommant l’Etat russe de verser quelque 50 milliards de dollars aux actionnaires de Ioukos, le groupe pétrolier autrefois propriété de l’ex-oligarque Mikhaïl Khodorkovski, démantelé il y a plus de dix ans par la justice russe pour des raisons politiques. Les autorités russes ont menacé de ces deux pays de représailles.
Poutine a affirmé vendredi que la crise annoncée n’a pas eu lieu et que la Russie était en train de «sortir d’une période difficile». Qu’en est-il ?
Si on relit les propos qu'il a tenus l'an dernier à la même époque, ainsi que ceux de son entourage, on s'aperçoit qu'il disait exactement la même chose lors de la 18e édition du Forum de St-Pétersbourg : les sanctions n'ont pas touché l'économie russe, le rouble remonte, etc. Or c'était avant la chute des cours du pétrole, et la brusque chute de la monnaie locale. Depuis, les deux ont effectivement quelque peu remonté, mais de mai à mai, le PIB russe a baissé de 5,5% ( -3,2% pour les cinq premiers mois de l'année). Mais s'il a reconnu une contraction de l'économie, le ministre russe du Développement économique a dit prévoir un retour à la croissance dès le quatrième trimestre de l'année (0,7% pour l'année prochaine à condition que le prix du baril de pétrole remonte à 70 dollars, selon la Banque centrale). Une prévision optimiste. Car l'économie souffre de son accès limité aux marchés financiers et surtout de la fuite continue des capitaux. Cette année, c'est 33 milliards de dollars qui ont déjà quitté la Russie, suivant la fuite de 151,5 milliards en 2014 (trois fois plus que l'année précédente). La population est encore plus touchée : depuis le début de l'année, 22,9 millions de Russes (sur 144 millions) vivent en dessous du seuil de pauvreté, contre 19,8 millions de personnes en 2014.
La Russie a-t-elle encore des amis ?
En Europe, on compte sur les doigts de la main les hommes politiques qui osent s'afficher en Russie. Ils étaient encore moins nombreux à St-Pétersbourg pour le Forum économique qu'à la parade du 9 mai, célébrant le 70e anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Ceux qui ont fait le déplacement sont surtout des ex, comme Gerhard Schroeder, l'ancien chancelier allemand, très maqué avec Gazprom, ou les Français François Fillon, dont le tropisme russe remonte à l'ère Gorbatchev à la fin des années 80, et l'ancien gaulliste Dominique de Villepin. Aléxis Tsípras, dont c'est la troisième visite en Russie cette année, a lui un autre agenda. L'homme a acté que Moscou n'a pas les moyens d'aider financièrement son pays et il a peu de marge de manœuvre, si ce n'est psychologique. Alors que s'approche l'échéance de paiement d'une nouvelle tranche de la dette grecque, il fait mine de se rapprocher de Moscou pour pousser Bruxelles à faire d'ultimes concessions et éventuellement mobiliser Washington.