Menu
Libération
Analyse

Paladin Energy, une multinationale pillarde au Malawi

L'ONG Action Aid explique comment une firme minière australienne a joué en toute légalité des systèmes d'évitement fiscaux. Un système de plus en plus critiqué.
Une famille fuit les inondations au Malawi, le 18 janvier 2015. (Photo Amos Gumulira. AFP)
publié le 24 juin 2015 à 11h25

Le Malawi, pays enclavé d’Afrique australe, trône au 174e rang sur 187 dans le classement de l’Indice du développement humain 2014 créé par le Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). L’espérance de vie y atteint à peine 55 ans. Pourtant, l’ONG britannique Action Aid raconte qu’une seule firme, l’australienne Paladin Energy, qui exploite de l’uranium dans la mine de Kayelekera, a privé le Malawi de 43,16 millions de dollars de revenus entre 2009 et 2014 – sans parler des dommages sanitaires et environnementaux.

Ces chiffres sont capitaux dans un pays où l’on compte trois infirmières ou sage-femmes pour 10 000 habitants, quand l’Australie, par exemple, en compte 106. Un pays où, notamment en raison de la fuite des cerveaux et de la migration de médecins au Royaume-Uni, il n’existe que 300 docteurs pour 16 millions de personnes… Ces chiffres sont capitaux parce que, selon l’ONG, ces 43,16 millions de dollars auraient pu permettre de payer, au choix: a) 431 000 traitements annuels contre le sida; b) 17 000 salaires annuels à des infirmier(e)s; c) 8 500 salaires annuels à des docteurs; d) 39 000 salaires annuels à des enseignants.

Une zone grise légale

La firme australienne, plus gros investisseur étranger au Malawi, dément les accusations de ce rapport publié le 17 juin, qu'elle juge «profondément hasardeux». Pas vraiment. Pas plus qu'il n'est déséquilibré. «Ce qui s'est produit n'a rien d'illégal», note d'ailleurs le rapport d'Action Aid. Légalement peut-être, éthiquement, voire moralement, c'est une autre histoire. Paladin est, comme beaucoup de grandes firmes, passée maître dans l'art de l'optimisation fiscale que permettent les lois malawiennes et internationales. L'optimisation fiscale, cette zone grise entre le consentement à l'impôt et la fraude fiscale, est le terrain de jeu favori des armées de comptables, juristes et banquiers de grandes firmes.

Avant de venir opérer dans le pays et d'obtenir une licence d'extraction en 2007, Paladin, qui a deux autres projets miniers au Niger et en Namibie, a négocié un système d'imposition sur mesure, des exemptions fiscales, et des «clauses de stabilité» qui interdisent au gouvernement de modifier toute fiscalité pendant dix ans. La firme australienne paie ainsi un contrat de licence de 1,5% (contre 5%) les trois premières années, puis 3% les années suivantes. Mais ce n'est pas tout. Elle a négocié une exemption totale de TVA à l'importation, obtenu une ristourne sur l'impôt sur les sociétés. Et surtout, a monté une structure de toutes pièces aux Pays-Bas, pour éviter de payer une «withholding tax» de 15% (un impôt anticipé) car le Malawi n'a pas de convention fiscale avec le pays européen, champion de la fiscalité accommodante.

Double non-taxation

Paladin est présent aux îles Vierges, en Suisse et à l'île Maurice. Comme la plupart des multinationales, elle préfère payer ses impôts dans le paradis fiscal où elle a installé son siège, plutôt que dans celui où elle opère réellement. Par exemple, comme le rappelle Attac-Suisse, Nestlé, géant de l'agrobusiness, possédait en 2013 95 filiales dans des paradis fiscaux, dont 25 dans le Delaware américain. Autre astuce : la manipulation des prix de transfert, qui permet à une entreprise de fixer artificiellement les prix auxquels ses filiales s'échangent des biens ou services dans le but d'échapper à l'impôt. En gros, pour éviter les droits de douane, on surévalue les importations et on sous-évalue les exportations, du coup, on ne déclare pas la valeur ajoutée là où elle est réellement produite. Par ce seul biais, les firmes du G7 ont soustrait à l'impôt 6 milliards de dollars de bénéfices réalisés en Afrique pour la seule année 2010. Si on additionne tous les tours de passe-passe et les stratagèmes d'optimisation, les pays africains perdraient, chaque année, jusqu'à 200 milliards d'euros, soit 4% du PIB du continent.

L'OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques), le club des 34 pays les plus riches de la planète, critique le principe : «Ces montages d'optimisation fiscale aboutissent souvent à une double non-taxation, c'est-à-dire une situation dans laquelle les revenus ne sont taxés nulle part : ni dans le pays de résidence du contribuable, ni dans le pays source. Les conséquences de cette érosion des assiettes fiscales et de la délocalisation des profits effectuées par certaines multinationales sont multiples : avantages compétitifs fortuits en faveur des entreprises multinationales par rapport aux plus petites entreprises et aux entreprises domestiques, distorsion des décisions d'investissement et perte importante pour les gouvernements de recettes relatives à l'impôt sur les bénéfices des sociétés.» L'OCDE a bien mis sur les rails un plan de lutte, connu sous l'acronyme BEPS, qui vise à lutter contre l'érosion de la base d'imposition et le transfert de bénéfices. Soit 15 mesures qui devraient être adoptées d'ici la fin de l'année. Mais nombre de pays africains sont exclus du processus qui a été commandé par le G20, frustré de voir une partie de l'impôt lui échapper en ces temps d'austérité budgétaire généralisée.

Les ONG de solidarité internationale comme les réseaux de lutte pour la justice fiscale, tel que Tax Justice Network, ou des coalitions encore plus grandes telles que Global Alliance for Tax Justice, militent pour un reporting plus serré, basé sur la transparence. A commencer par l'obligation de déclarer leurs activités et leurs bénéfices pays par pays, filiale par filiale, projet par projet. Plutôt que de chercher des solutions au cas par cas, il faut trouver une solution systémique au problème, assure Action Aid, qui lance aussi une pétition en ce sens. «Il est totalement absurde qu'il existe des organisations internationales pour le commerce, la santé, le football mais pas pour les taxes», estimait en début du mois Winnie Byanyima, la directrice exécutive d'Oxfam international, que Libération citait à l'occasion d'un article titré «Comment les multinationales escroquent l'Afrique». Le temps presse.

publié par