Si la notion de terreur est consubstantielle au jihadisme, la décapitation a été pratiquée dans la péninsule Arabique depuis la fin du VIIe siècle. Des théologiens et philosophes ont subi cette punition, comme le poète soufi Al-Hallaj en 922, crucifié, membres tranchés puis décapité. Aujourd'hui, la plupart des pays islamiques ont abandonné la décapitation au profit de la pendaison et du peloton. A l'exception de l'Arabie Saoudite où l'on continue à trancher la tête des condamnés à mort en place publique.
«Bourreau». Et à Saint-Quentin-Fallavier, où l'homme qui a été décapité était aussi le patron du principal suspect, Yassin Salhi ? «Nous sommes ici dans une affaire horrible qui emprunte la symbolique créée par le jihadisme. Or, dans la symbolique, l'acte doit être perpétré avec l'épée, l'arme blanche du Prophète. Et que voit-on ? Un acte barbare commis avec un couteau de boucherie», explique Abdellasiem El Drifaoui, chercheur germano-égyptien, associé à l'Institut des médias et de la communication de Berlin.
Wassim Nasr, analyste des mouvements jihadistes, se montre d'emblée prudent : «Le terroriste était-il commandité pour décapiter sa victime ? Visiblement il y avait une relation hiérarchique entre la victime et son bourreau. Si tel est le cas, la symbolique sera moins forte qu'un acte commandité par une autorité terroriste supérieure. Qui a commandé au bourreau ? De son propre chef, il aurait décapité son supérieur ? Un tel acte se mesure aussi à la portée de la mise en scène. Il ne s'agit pas d'un terroriste qui exécute un soldat de faction ou un religieux catholique. Nous sommes plus proches d'un crime qui tient quand même du fait divers horrible et qui emprunte à la symbolique jihadiste.»
Mohammed Sifaoui, écrivain et spécialiste des groupes jihadistes, réfute la portée du fait divers : «Nous sommes dans une théâtralisation du crime. Il s'agit pour moi d'un crime totalement idéologique. Séparation de la tête du corps, transfert sur le lieu où l'on va découvrir sur une grille la tête accompagnée de lettres en arabe» qui correspondent à la Chahada, la profession de foi musulmane. De sorte, à écouter Sifaoui, que la vision qui a été donnée serait «indubitablement celle d'un terrorisme de surenchère. Plus on terrorise par le biais d'un acte comme la décapitation, plus on marque psychologiquement une société démocratique et sécularisée».
«Digues». Pour Sifaoui, la question centrale est : «Au-delà de la relation hiérarchique visiblement établie - qui, selon moi, n'amoindrit en rien la portée idéologique de l'acte -, qu'est-ce qui peut pousser une personne, qui la veille encore regardait la télé et envoyait des mails, à rationaliser sa haine et à placer la tête qu'il vient de trancher sur une grille ?» Toujours pour l'écrivain, «le salafisme appelle à justifier et légitimiser cette idéologie jihadiste». Le terroriste ne serait «pas un homme déconnecté du monde. Au-delà de la terreur ressentie par tous, il y a un homme qui va épouser une idéologie nouvelle et qui va casser toutes les digues qui ont jusque-là construit cet homme qui semblait inséré à travers son cursus scolaire, son boulot, ses relations amicales, etc.»
Wassim Nasr, qui n'épouse pas la thèse de Sifaoui sur la portée de l'acte malgré l'épouvante, reconnaît toutefois «que tout cela renvoie, malgré la prudence toujours de mise, aux horreurs commises en Syrie et en Irak. La décapitation, c'est la mise à mort absolue infligée aux pires des traîtres et aux mécréants».