«Mais qui faut-il croire ?» s'interroge le kiosquier de la rue Marasli, dans le quartier de Kolonaki, au centre d'Athènes. Dans sa petite cahute, il garde les yeux rivés sur une minuscule télévision où s'affiche le visage de Jean-Claude Juncker, le président de la Commission européenne. Un bandeau rouge barre le bas de l'écran : «Nous n'avons jamais demandé de coupes dans les retraites. Les discussions étaient toujours en cours.» Qui croire en effet ? Les créanciers de la Grèce, qui affirment aujourd'hui que leurs dernières propositions de réformes ne sont pas celles qu'a dénoncées le gouvernement grec d'Alexis Tsípras ? Ou ce dernier, qui affirme qu'elles étaient inacceptables et a donc décidé de les soumettre au vote populaire, via un référendum organisé dans un temps record et prévu pour dimanche ?
Lundi dans les rues d'Athènes, la perplexité l'emportait sur tout autre sentiment. Rue Solonos, dans une agence de l'Opap, la société des paris en ligne, l'une des trois télés qui présentent les gains et les jeux en cours retransmet elle aussi exceptionnellement la conférence de presse de Juncker. Avec un nouveau bandeau rouge : «C'est Varoufákis [le ministre grec des Finances, ndlr] qui a choisi tout seul de quitter l'Eurogroupe samedi.» Là, le démenti arrive quand même un peu tard : samedi à Bruxelles justement, Varoufákis avait dénoncé son exclusion de l'Eurogroupe, sans susciter alors de réactions des concernés.
«Les hedge funds espèrent doubler la mise»
Sur qui faut-il parier ? Sur Juncker ? Sur Tsípras ? Sur la sortie de la Grèce de la zone euro, en cas de rejet des réformes attribuées aux créanciers ? «Les hedge funds ont parié sur un maintien de la Grèce dans la zone euro. C'est pour ça qu'ils sont les seuls à investir en Grèce en ce moment : ils espèrent doubler la mise», explique un trader, dont les bureaux se trouvent rue Kanari, à deux pas de la place Syntagma, cœur névralgique d'Athènes, où se trouve aussi le siège du Parlement grec.
En attendant, ce lundi, les banques sont fermées et les transports en commun, gratuits. «Ce sera comme ça toute la semaine», informe une jeune femme brune devant un distributeur de la place Syndagma. Il y a une dizaine de personnes dans la queue, venues retirer au maximum 60 euros, la nouvelle limite imposée aux Grecs. Il y a aussi une vingtaine de journalistes qui filment la queue en plan très serré. «Ils sont plus nombreux que nous ! Et ils veulent faire croire qu'il y a foule devant le distributeur ?» s'agace la dame brune.
L'hôtel Grande-Bretagne se trouve aussi sur la place Syntagma. C'est le palace historique de la capitale. Dans l'ambiance feutrée du lobby, des touristes élégants étudient une carte de la ville. Le 5 juillet, jour du référendum, le Grande-Bretagne est en tout cas complet. «Les touristes ne sont pas concernés par les restrictions aux distributeurs», explique le jeune réceptionniste. Juste au-dessus de sa tête, un immense tableau évoque une scène mythologique. «L'enlèvement de Europe par Zeus ?» lui demande-t-on. «Mais non ! Pour enlever la déesse Europe, Zeus s'était métamorphosé en taureau !» corrige-t-il. «Ce tableau, c'est Hadès, le dieu des enfers, qui enlève sa future épouse Perséphone.» Alors l'enfer ou l'Europe ? Mais est-ce vraiment la question ?
«Des informations contradictoires»
«Les Grecs veulent à la fois rester dans la zone euro et en finir avec l'austérité», souligne Michael, un sexagénaire irlandais qui vit en Grèce, à la terrasse d'un café de Syntagma. «C'est périlleux d'organiser ce référendum dans un délai si court et alors que les gens sont inondés d'infos contradictoires», soupire-t-il. «Mais la responsabilité première est celle des précédents gouvernements, qui ont mis les gens à genoux alors qu'eux-mêmes étaient corrompus», ajoute Michael, qui rappelle aussi que l'hôtel Grande-Bretagne a accueilli Winston Churchill en 1944. «Staline a laissé la Grèce à Churchill, qui a trahi la résistance communiste grecque après l'avoir désarmée. Il y a eu une guerre civile et les anciens collabos grecs ont finalement pris le pouvoir. Aujourd'hui Syriza, c'est aussi le parti des héritiers des perdants de la guerre civile», considère-t-il. Mardi soir, la droite a appelé à manifester à Syntagma, «pour l'Europe et contre Tsípras». «S'ils manifestent, on ne les laissera pas occuper le terrain», avait averti ce week-end un militant de Syriza. Les élégants touristes de l'hôtel Grande-Bretagne seront en tout cas aux premières loges des batailles qui s'annoncent, pour cette semaine de tous les dangers en Grèce.