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Libération
Interview

George Katrougalos : «La stratégie de nos créanciers n’était pas de discuter d’un accord»

Le ministre de la Réforme du gouvernement Syriza justifie la tenue du référendum de dimanche par le maintien de propositions inacceptables, selon lui, par la Troïka.
publié le 29 juin 2015 à 20h11
(mis à jour le 29 juin 2015 à 20h11)

Au centre d’Athènes, la place Klafmonos, « place des pleureurs », a été baptisée ainsi en référence aux fonctionnaires qui, dans l’entre-deux-guerres, venaient y pleurer pour obtenir une augmentation de salaire. C’est à l’angle de cette place que se trouve encore aujourd’hui le ministère de l’Intérieur grec, cœur névralgique de l’organisation du référendum du 5 juillet. On y retrouve le grand chef d’orchestre du scrutin : ancien prof de droit, George Katrougalos, 52 ans, est désormais ministre de la Réforme administrative et de la Fonction publique au sein du gouvernement Syriza. Il revient sur le déroulé des dernières négociations et sur l’organisation dans un temps record (cinq jours ouvrables !) du référendum.

Pourquoi avoir quitté la table des négociations en optant pour le référendum ?

Ce n'est pas comme ça que ça s'est passé : lundi 22 juin, nos propres propositions de réformes étaient considérées comme de « bonnes bases » de discussions par nos interlocuteurs. Mais mardi, lorsque nous nous sommes retrouvés, tout avait changé. Et nos créanciers [l'UE et le FMI, ndlr] ont mis sur la table des propositions au sein desquelles figuraient des clauses que tous nous avions déjà refusées et qui semblaient désormais hors sujet. Ils ont ainsi à nouveau exigé la suppression de l'Ekas, cette allocation destinée aux retraités qui vivent sous le seuil de pauvreté. Ils ont aussi demandé une curieuse «décompression des salaires dans les deux directions», en expliquant qu'il fallait relâcher la pression sur les hauts salaires et à l'inverse accroître la pression sur les salaires les plus modestes.

Pour nous, c’était clair : leur stratégie n’était pas de discuter d’un accord, mais d’épuiser le temps qui restait en utilisant le manque de liquidités en Grèce comme un moyen de pression. Afin, au dernier moment, de nous imposer un ultimatum. C’est à ce moment-là que s’est imposé le choix du référendum. Nous étions dans l’impasse.

Mais Jean-Claude Juncker comme Angela Merkel ou François Hollande disent que jamais il n’a été question de baisse des retraites et qu’on avait commencé à discuter de la restructuration de la dette. Ils mentent ?

Ce n’est pas à moi de lancer des accusations. Mais je suis contraint de vous dire que c’est faux. D’ailleurs, Nikos Pappás [ministre et bras droit de Tsípras, qui participait aux négociations, ndlr] a mis les documents photographiés des dernières propositions des créanciers sur son compte Twitter. Tout le monde peut aller vérifier. A aucun moment des discussions ils n’ont voulu envisager le réaménagement de la dette. Or pour nous c’est une question vitale : la dette s’élevait à 128% du PIB en 2009, juste avant le premier plan d’austérité. Cinq ans plus tard, elle atteint près de 180% du PIB. On ne peut donc pas continuer à exiger des concessions de notre part sans alléger ce fardeau.

De notre côté, nous avions déjà accepté des mesures impopulaires comme la hausse de la TVA et nous sommes toujours restés ouverts aux négociations. D’ailleurs, au lendemain de l’annonce du référendum, Yánis Varoufákis [le ministre grec des Finances, ndlr] est venu à l’Eurogroup de samedi. On lui a demandé de quitter la salle. Mais ça aussi, ils disent que c’est faux et que c’est Varoufákis qui a choisi de partir. Franchement, c’est facile de vérifier : Varoufákis s’en est plaint publiquement alors qu’il était encore à Bruxelles et a même contesté la validité légale de cette décision de Jeroen Dijsselbloem, le président de l’Eurogroupe. On lui a répondu que l’Eurogroupe était un groupe informel où il n’y avait pas de règles et de procédures.

Est-ce vraiment possible d’organiser un référendum dans un délai si court ?

C’est compliqué mais pas impossible. On a pris certaines décisions exceptionnelles : on utilisera les mêmes listes électorales, les mêmes bureaux de vote et les mêmes assesseurs que pour les élections de janvier. On a aussi fait passer un décret législatif pour pouvoir mettre en place les bulletins samedi, alors que, selon les règles habituelles, les bulletins auraient dû arriver dès mardi. On a également réparti l’impression des 11 millions de bulletins entre plusieurs imprimeries.

Combien coûte un tel référendum ?

Quelque 25 millions d’euros, et nous en avons les moyens.

La plupart des dirigeants européens affirment qu’il s’agit d’un référendum «pour ou contre l’Europe». Ne risquez-vous pas d’envenimer les relations avec vos partenaires ?

Je ne vois pas comment on peut s’opposer, dans une union démocratique, au choix du peuple souverain. Nous savons que certains vont faire peur aux Grecs, mais la seule question c’est : acceptez-vous les dernières propositions de nos créanciers ? Il n’y a aucune procédure qui conduise au Grexit parce que le peuple refuse certaines réformes. Quand l’Irlande a appelé au référendum sur le traité de Lisbonne et l’a rejeté dans sa première mouture, elle n’est pas sortie de l’Europe !

Si le oui l’emporte ?

Je n’y crois pas, même si ce sera peut-être serré. Mais si le oui l’emporte, alors le gouvernement appliquera d’autant plus facilement les réformes exigées par nos créanciers que le peuple se sera prononcé.

Le gouvernement ne démissionnera pas ?

A priori rien ne l’y oblige et nous avons d’autres combats internes à mener. Notamment la lutte contre les oligarques.

Ca ne vous gêne pas d’avoir obtenu la tenue de ce référendum avec les voix des néonazis d’Aube Dorée au Parlement ?

Si, et c’est pour cette raison que nous ne créerons pas de «comité du non» comme c’est la tradition. Le camp du oui, lui, créera certainement un comité. Mais je souhaiterais sincèrement que le débat ne soit pas dominé par la peur ou la haine. Nous sommes un pays où les divisions historiques de la guerre civile sont encore dans toutes les mémoires. Il faut avoir à l’esprit que c’est la démocratie qui doit gagner.