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Libération
Récit

Référendum : le va-tout d’Athènes

Les Grecs se prononcent dimanche sur les mesures proposées par les créanciers du pays, un référendum déterminant mais organisé dans une grande confusion.
Alexis Tsipras vendredi soir place Syntagma. (Photo AFP)
publié le 3 juillet 2015 à 21h36

Mais quelle est donc la question ? Ce n'est pas la moindre des interrogations paradoxales qui se posent pour le référendum de dimanche en Grèce, organisé seulement cinq jours ouvrables après son annonce surprise. «C'est bien la première fois depuis la fin de la dictature que le Conseil de l'Europe a condamné la Grèce, en dénonçant les conditions d'organisation de ce référendum», soulignait jeudi à Athènes Anna Polimata, une ancienne députée grecque au Parlement européen, lors d'une réunion «pour le oui et pour l'Europe». La Grèce risque-t-elle de sortir de l'Europe en cas de victoire du non ? Rien n'est automatique, mais pour les partisans du oui, c'est la seule question valable.

En réalité, dans le climat d'ébullition de ces derniers jours, chacun à Athènes avait sa petite idée du sens de la question posée. «Non, c'est non à l'austérité», tranche Stelios, un jeune électricien au chômage. «Moi je voterai oui, pour dire non à Tsípras», affirme de son côté Aristide, 65 ans, qui ne décolère pas contre un Premier ministre accusé de ne pas avoir «eu le cran de quitter plus tôt la table des négociations avec les créanciers». Le oui comme le non sont en fait deux oui, s'exaspère Maria, une femme de ménage qui soupçonne Aléxis Tsípras d'être prêt à appliquer des mesures impopulaires comme celles qui figuraient dans ses contre-propositions du 24 juin. La thèse du «oui-oui», celle du double programme d'austérité (celui des créanciers et celui du gouvernement) est aussi celle privilégiée par le KKE, le parti communiste grec, qui s'abstiendra et a fait défiler jeudi soir ses partisans place Syntagma : une (petite) foule de drapeaux rouges, très vintage XIXe siècle.

Exaspération

Autre casting au comité du «oui à l'Europe» : on y croise un armateur, quelques entrepreneurs et journalistes. C'est le comité des «eponymous», des «noms de gens connus», ceux qui fréquentent les beaux quartiers. Sans forcément le vouloir, Tsípras a ressuscité la guerre des classes en Grèce, en appelant à un référendum «qui sera certainement le scrutin le plus socialement polarisé de ces dernières années», assure le journaliste Dimitri Psarras. Mais qui évoque aussi une dernière partie de roulette russe.

Yánis Varoufákis, le ministre des Finances, a beau répéter que «la victoire du non» permettra «de retourner avec plus de force à la table des négociations», de moins en moins de Grecs pensent que ce pari est garanti. Au départ, pourtant, il semblait jouable. La semaine dernière, il régnait à Athènes un climat d'exaspération et de fatigue face à des négociations qui s'éternisaient depuis cinq mois, alors que les concessions du gouvernement grec, après avoir été considérées comme de «bonnes bases», étaient renvoyées à l'expéditeur biffées de stylo rouge et remplacées par une nouvelle série de réformes jugées socialement destructrices. De plus en plus convaincu que ses interlocuteurs veulent uniquement sa capitulation, Tsípras décide alors de jouer son va-tout. L'idée du référendum avait été évoquée à maintes reprises depuis avril par la partie grecque. Mais dans une partie de poker, il faut avoir un temps d'avance.

Guerre financière

Annoncé en pleine nuit, le référendum sur les dernières propositions des créanciers devient quelques heures plus tard hors sujet, quand les créanciers les font disparaître comme dans un jeu de bonneteau. La ficelle est grosse, mais à la guerre, tous les coups sont permis. Et c'est dimanche qu'est déclenchée l'arme atomique : la Banque centrale européenne (BCE) gèle le plafond de l'accès des banques grecques aux liquidités d'urgence. Lundi, le gouvernement est obligé de fermer les banques et de limiter les retraits pour éviter l'asphyxie. En quelques jours, le pays est paralysé : multiplication des queues devant les distributeurs et banques, puis pénurie des billets de 20 euros, ce qui fait en réalité passer de 60 euros à 50 euros le retrait maximum par jour. Sans oublier les retards de paiement des salaires dans le privé. En appelant curieusement les forces armées «à assurer la sécurité du pays», le ministre de la Défense a lui aussi alimenté jeudi la confusion ambiante. Rarement un référendum aura été tenu dans des conditions aussi explosives.

Alors, nai (oui) ou ochi (non) ? Les sondages donnaient vendredi une légère avance du oui, mais dans un pays où plus de 3 millions de personnes vivent désormais sous le seuil de pauvreté, les tendances peuvent vite basculer. Paradoxalement, une victoire du non serait peut-être plus difficile à gérer pour Tsípras, qui certes ne sera plus contraint de démissionner mais devra assumer jusqu'au bout les conséquences d'une guerre financière qui ne dit pas son nom. Maigre consolation, vendredi, le FMI a pour la première fois admis que la dette grecque devait être restructurée car insoutenable. Un aveu bien tardif, qui ne résout pas l'autre question : victoire du oui ou du non, que se passera-t-il lundi ?