ÀPatmos, les soubresauts de la crise grecque sont étrangement amortis. Orthodoxie touristique oblige, ses habitants en débattent sous cape. Lundi, des dizaines de «Oxi» (non) ont quand même fleuri sur des poteaux électriques éclairant l'unique route de cette île minuscule de 15 kilomètres de long. Mais Andréas, la trentaine, qui loue des chaises longues en bois (6 euros la journée) sur la plage de Kambos, s'angoisse : «Les touristes ont besoin d'harmonie et de sécurité. Or les médias leur font peur.»
Ici, beaucoup estiment que le oui est clair, mais pas le non : «Est-ce que cela veut dire non aux taxes supplémentaires, non à l'euro ou non à l'Europe ? s'interroge Michaelis, serveur l'été et pêcheur l'hiver. Varoufákis [le ministre grec des Finances, ndlr] bluffe aussi bien que ses interlocuteurs. Mais à la fin, tout le monde risque de perdre.»
A Patmos, où l'essor du tourisme a sorti, en trente ans, la plupart des 3 100 habitants de la rusticité, on se sait privilégié. «Nous vivons dans un univers parallèle ici», rappelle Vassily Dimas, de l'Astoria Travel Agency. Depuis le passage à l'euro, l'argent du tourisme a doublé. Mais les affaires ne profitent pas à tous : une centaine de familles vivent sous le seuil de pauvreté, l'hôpital est un dispensaire et l'île reste sous-dotée en médecins et en enseignants. Evridiki, 87 ans, veuve de Dimitri le berger, touche 330 euros par mois de retraite, soit 50 de moins qu'il y a trois ans.
«iPhone». Les Patmiotes tirent 90% de leurs revenus des 15 000 visiteurs annuels, sans compter les 250 000 personnes qui débarquent pour quelques heures des bateaux de croisière. Un big business tenu par Yiannis Stratas et John Kamaratos, à la tête des deux agences de voyage de l'île. «Les gens aiment bien voter non par principe, mais je pense que le oui va passer ici. Si nous devions sortir de l'euro, ce serait un désastre. La Grèce toute seule ? Ridicule !» lâche Stratas, septuagénaire en chemise rayée et lunettes noires, qui regrette : «La saison avait bien commencé, en hausse de 30 %. Mais là, on a déjà 20 % d'annulations.»
Karamatos se félicite : «Tsípras a été tellement agressif mercredi soir à la télé qu'il a renvoyé beaucoup de gens dans le camp du oui.» Pour ce quinqua patmo-australien, l'euro fort a obligé la Grèce à améliorer sa qualité de service pour rester dans la compétition des pays méditerranéens : «Si on retourne à la drachme, les riches seront encore plus riches et les pauvres plus pauvres, dit-il. On sera un pays pas cher, mais on ne pourra plus importer d'infrastructures ou d'iPhone.»
Son cousin Vassilis Dimas s'amuse de voir que la question posée au référendum est écrite en partie en anglais : «Il faudra que la vieille yaya [grand-mère, ndrl] passe sa licence de droit avant dimanche !» Il s'enflamme : «Moi, je vote un grand oui car ma maison, c'est l'Europe.» L'impératif est de ne pas inquiéter les touristes ou les fortunés résidents français, autrichiens ou américains qui ont acheté des maisons. Lundi matin, les distributeurs de billets sont restés fermés quelques heures avant d'être débloqués pour les étrangers. Les Grecs, eux, sont plafonnés à 60 euros de retrait par jour et par carte bancaire. «J'ai vu un gentleman anglais me supplier de lui avancer les billets de catamaran pour l'île de Kos ; ça m'a fait rire et pleurer», raconte Vassilis.
Marina. Mais si les acteurs connectés au tourisme international votent oui, ce n'est pas le cas des petits patrons locaux. George Coronis, le propriétaire de Georges' Place, un bar de plage prisé, est un ex-conservateur devenu pro-Syriza : «J'ai un business, je devrais voter oui, mais ce sera non. S'ils font passer la TVA à 23 % sur la restauration, je devrai licencier la moitié des 15 locaux que j'emploie.» Dont peut-être Léonidas, 30 ans, marié, un enfant : «Moi, je vote non. Parce que dans deux ans, tu ne viendras pas ici pour payer ton Coca 4 euros.»
Au bar, Ariel, un trentenaire américain habitué de l'île, interpelle le patron en rigolant : «La bouteille d'ouzo de Samos [à une heure de bateau, ndlr] est à 13 euros à Patmos et à 11 dollars à New York. Si tu veux, je t'en importe de là-bas !» Les aides au développement de Bruxelles interpellent. Parfois pour le meilleur : une retenue d'eau au fond de la vallée de Livadi ou la nouvelle marina du port de Skala. Pour le pire : la route trop large et bordée d'une glissière d'autoroute qui déchire les collines du Nord. «Quand un client allemand m'a dit "C'est nous qui vous l'avons payée", je lui ai répondu "Va sur cette route et compte le nombre de voitures allemandes qui y circulent. Vous investissez ici pour écouler vos produits !"» s'insurge Tassos, 70 ans, loueur de Vespa, qui votera non «pour sortir de l'euro et de l'"union germanique"».
Certains nonistes estiment qu'il vaut mieux «avoir faim pendant deux ans avec l'espoir de s'en sortir» plutôt que de poursuivre sur la voie sans issue de l'austérité. «On est des rebelles», rappelle Thanasis, 30 ans, prof de gym en attente d'une titularisation depuis trois ans.