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Libération
Portrait

Aleksandar Vucic, l’homme de fer de la Serbie

A Srebrenica, le Premier ministre serbe a été accueilli par une volée de pierres, samedi. Les familles des victimes se souviennent trop bien de ses déclarations belliqueuses dans les années 90.
publié le 12 juillet 2015 à 19h26

Aleksandar Vucic est un animal politique qui sait prévoir quand le vent tourne. Samedi, le Premier ministre serbe assurait lors d’une conférence de presse à Belgrade que «sa main était toujours tendue vers le peuple bosniaque», qu’il y avait des «fous dans chaque nation» et qu’il savait «que la majorité des Bosniaques ne soutenait pas ce qui s’était passé».

Quelques heures plus tôt, l'homme fort de Serbie avait été chassé par des jets de pierre du Mémorial de Potocari, alors que les musulmans de Bosnie-Herzégovine commémoraient le massacre de Srebrenica, où plus de 8 000 hommes et adolescents ont été exécutés par les forces du général serbe Ratko Mladić, en juillet 1995. «Certains ne reconnaissent pas que je travaille pour la réconciliation», a-t-il finalement regretté. Une petite phrase qui aura du mal à convaincre les victimes des guerres des années 90, qui se souviennent de déclarations nettement plus belliqueuses.

Entre les gouttes. «Si vous tuez un Serbe, nous allons tuer 100 musulmans», menaçait-il en juillet 1995, après l'entrée des forces serbes dans Srebrenica. A l'époque, le jeune Vucic est secrétaire général du Parti radical serbe (SRS) de l'ultranationaliste Vojislav Seselj. Il devient, à partir de 1998, ministre de l'Information du président Slobodan Milosevic - mort quelques années plus tard en cellule, en attendant son procès à La Haye. Vucic géra ce portefeuille «sensible» durant la guerre du Kosovo et les bombardements de l'Otan, expulsant les journalistes étrangers et censurant les médias serbes d'opposition, nécessairement «vendus à l'ennemi».

Mais l'homme sait se retourner. Après la chute du président serbe lors de la révolution du 5 octobre 2000, l'ambitieux Vucic passe entre les gouttes, se présentant deux fois sans succès à la mairie de Belgrade pour le Parti radical. Des défaites qui affinent son sens politique. Il a compris que, pour assouvir ses ambitions, il lui faudra se séparer d'amis devenus trop encombrants et notamment de son mentor Vojislav Seselj, passé lui aussi par la case prison aux Pays-Bas. En 2008, la rupture est consommée. Aleksandar Vucic rallie la scission du SRS initiée par Tomislav Nikolic. Les deux hommes forment alors le Parti progressiste serbe (SNS), qui se veut un mouvement de «centre droit», «conservateur et pro-européen». Nikolic est élu président de la République en mai 2012, tandis que le SNS remporte les élections législatives. Aleksandar Vucic devient le véritable homme fort du gouvernement, théoriquement dirigé par le socialiste Ivica Dacic.

Deux ans plus tard, les élections anticipées de mars 2014 prennent de nouveau l’allure d’un véritable plébiscite, et Aleksandar Vucic obtient à son tour le poste de Premier ministre.

En quelques mois, s'opère alors une impressionnante concentration du pouvoir, facilitée par l'élimination de ses adversaires grâce à une très populaire campagne «anticorruption». En décembre 2013, Miroslav Miskovic, l'homme le plus riche de Serbie, est par exemple arrêté, avant d'être relâché sans avoir été jugé. «Il y a quinze ans, j'étais le ministre de l'Information le plus stupide du monde», déclarait de façon surprenante Aleksandar Vucic, en décembre 2014, à une télévision serbe. S'il ne manque pas une occasion de répéter que l'intégration européenne demeure son objectif stratégique, l'homme fort de la Serbie (dont la cote de popularité, qu'il entretient par une permanente mise en scène de sa propre image, se maintient à des sommets inédits), ne semble pourtant pas avoir renoncé à la culture politique acquise du temps de sa jeunesse.

Chiens de garde. Depuis son arrivée au pouvoir, nombre de voix critiques au sein des médias serbes ont curieusement été mises sur la touche. Dans le même temps, le pouvoir étend son contrôle à la distribution de la presse écrite, chasse gardée de quelques opérateurs privés, tous liés au régime, et à la diffusion des chaînes de télévision. Les tabloïds serbes jouent désormais le rôle de chiens de garde du régime. «Vucic a transformé des caniches en pitbulls», résume Vukasin Obradović, le président de l'Union des journalistes indépendants de Serbie.

Régnant sans partage en Serbie, Aleksandar Vucic sait pourtant mettre de l’eau dans son vin pour louvoyer entre Bruxelles, Moscou et Washington. Il n’a ainsi eu aucune difficulté à faire de sérieux compromis sur le Kosovo et il applique rigoureusement les consignes d’austérité du FMI, privatisant les dernières entreprises rentables du pays, comme la compagnie de télécommunication Telekom Srbija. Dans le même temps, il ne manque pas une occasion de faire les yeux doux à Vladimir Poutine pour espérer diminuer le prix du gaz livré par Moscou. Qu’on se le dise, Aleksandar Vucic est un équilibriste particulièrement doué et la représentation est loin d’être terminée.