Un mur est en construction dans le restaurant de Hassan Osman. La salle rectangulaire aux cloisons bleu pâle sera bientôt séparée en deux. Un tiers de l’endroit va être cédé à un autre commerçant dès les travaux terminés. Hassan conservera l’autre partie, qui n’accueillera plus que six ou sept petites tables en plastique. Les clients ne sont plus assez nombreux pour assurer la pérennité de l’établissement situé dans le quartier grouillant et poussiéreux de Gudele, dans l’est de la capitale sud-soudanaise, Juba.
«Le marché n'est pas au mieux, l'économie est malade», reconnaît Hassan. C'est peu de le dire. La chèvre qu'il dépèce à l'arrière du restaurant, au milieu de tonneaux d'eau croupie et de pièces de mécaniques rouillées vaut deux fois plus cher que l'année précédente. Le prix des fruits, des légumes, tous importés d'Ouganda, a aussi flambé. Le propriétaire les a répercutés sur ceux des plats : jusqu'à 17 livres sud-soudanaises (1,30 euro) aujourd'hui contre 10 l'an passé. Les habitants du quartier n'ont plus les moyens de se restaurer chez Hassan.
Depuis décembre 2013 et le début de la guerre qui oppose les forces loyales au président Salva Kiir et celles fidèles à son ancien vice-président Riek Machar, l’économie de la plus jeune nation au monde, qui fêtait vendredi ses quatre ans d’indépendance, est totalement asphyxiée. Le Soudan du Sud est dépendant du pétrole qui lui assure l’essentiel de ses revenus, mais les combats autour des zones pétrolières dans les Etats du Haut-Nil et d’Unité ont mis un frein à cette manne.
Accès à l'eau. «Le gouvernement alloue le peu qu'il reste aux dépenses militaires en oubliant totalement les dépenses publiques», déplore une source humanitaire. Le coût de la vie a augmenté de 30 % à Juba sur les six premiers mois de l'année, selon le dernier rapport de l'ONG Oxfam. La livre sud-soudanaise (SSP) a été fortement dépréciée : d'un dollar pour 6 SSP en janvier à un dollar contre 11 SSP aujourd'hui, sur le marché noir.
Le jeune Hassan Sabir, manager du Gudele Center Restaurant, vaste salle rose mal éclairée et décorée de bouquets de fleurs en plastique, s'est séparé de quatre employés sur les quatorze derniers mois. «Le commerce ne marche pas depuis six mois, explique-t-il, un œil rivé sur le film américain Expendables diffusé sur un petit écran plat dans un coin du restaurant. Nous achetons moins de fruits, moins de légumes, moins d'eau, mais nous payons toujours pareil.»
L'accès à l'eau est un problème crucial, une épidémie de choléra a déjà fait 33 morts dans la capitale depuis juin. La saison des pluies, qui arrive, laisse craindre aux acteurs humanitaires que cette épidémie soit pire que la précédente, qui avait causé la mort de 167 personnes. Médecins sans frontières vient d'ouvrir un centre de traitement contre l'infection, d'une capacité de 150 lits, dans un quartier voisin de Gudele. «A Juba, seulement 13 % de la population a un accès à l'eau publique. Tous les autres ont besoin d'utiliser des services privés qui livrent l'eau depuis les centrales de traitement. Mais avec la flambée du prix de l'essence, cette eau est beaucoup plus chère à traiter et à distribuer. Les gens doivent choisir entre acheter de la nourriture pour leurs familles ou acheter de l'eau propre. Le choix est très difficile», constate Isabel Martins, coordinatrice des programmes d'urgence d'Oxfam à Juba.
Cessez-le-feu. Francis Jackson Rocky a fait son choix. Ce sera la nourriture. Lui aussi vit à Gudele, mais loin de l'agitation de l'artère principale. Pour trouver le vieil homme assis derrière sa machine à coudre, il faut emprunter une des pistes perpendiculaires. Ici, l'habitat est sommaire, des tentes du Haut-Commissariat aux réfugiés (HCR) servent de toiture ou de porte pour se protéger de la pluie. «Venez voir où je prends mon eau, venez !»
Francis Jackson Rocky nous conduit une centaine de mètres derrière son domicile. Ici, des forages artisanaux permettent un accès à l'eau des sous-sols. Francis Jackson Rocky plonge un petit bidon jaune dans un des trous, le remplit d'eau et tient l'avaler en présence de témoins : «Voilà ce que l'on boit !» «Il faut que la communauté internationale nous vienne en aide», répète-t-il. Tout en évitant d'aborder les questions politiques : «Nous devons obtenir la paix et ensuite, tout ira bien.»
Les espoirs d’un cessez-le-feu sont pourtant très minces. Les discussions entre les deux parties sont actuellement suspendues. Toutes les tentatives d’accords négociées à Nairobi (Kenya) ont jusque-là échoué, alors que cette guerre a déjà coûté la vie à des dizaines de milliers de personnes, dont des milliers d’enfants. Les deux tiers des 12 millions d’habitants ont besoin d’aide humanitaire et 4,5 millions de personnes n’ont pas suffisamment à manger, selon plusieurs ONG.