Loin de la Grèce et de l'iran, un autre rendez-vous capital, bien que sous-estimé, se joue ces jours-ci à Addis-Abeba. Un moment crucial qui raconte pourtant à sa façon − car il prend et illustre la température des rapports de forces −, les pressions diplomatiques entre les pays du nord et du sud (et à l'intérieur de ces deux pôles) ; la teneur des enjeux idéologiques en cours sur la planète ; l'état des solidarités internationales et des égoïsmes nationaux. «Un sommet pour un agenda «transformatif» du monde qui devrait, en principe, montrer que la finance sert l'économie et la solidarité mondiale et non pas l'inverse», souffle Grégoire Niaudet, du Secours catholique.
La troisième Conférence sur le financement du développement, lancée lundi dans la capitale de l'Ethiopie, et qui doit se clore jeudi, tient pourtant de la première étape essentielle d'une année singulière. Elle risque d'aboutir à des désillusions et des déchirures, tant le projet de déclaration finale reste, à ce jour, figé dans des postures conservatrices et libérales. Comme le résume un négociateur brésilien : «On peut se moquer des négociations onusiennes, facile, mais c'est le seul endroit où se retrouvent Etats, institutions, société civile, entreprises, pour parler commerce, dette, climat, développement, santé, etc. Après, il est plus facile de faire croire que l'avenir du monde passe par les partenariats publics-privés au profit de multinationales qui ne pensent qu'en termes de solvabilité et de retour sur investissement.»
L'état d'urgence ne se dément pas. Il s'agit, notamment, de trouver les moyens de financer les 17 objectifs de développement durable (ODD) pour 2015-2030 et qui doivent être adoptés à l'ONU en septembre à New York, dans le sillage des Objectifs du millénaire (ODM), «qui ont vraiment permis d'avancer, sur le sida, la santé maternelle ou la scolarisation», rappelle un délégué malaisien. Puis, dès la fin novembre à Paris, pour qu'un accord pour la COP 21 de l'ONU sur le climat s'esquisse, il faudra que soit mise sur les rails la possibilité d'abonder un fonds vert de 100 milliards de dollars par an à partir de 2020. Le tout se chiffre en trilliards de dollars, jusqu'à 4 500 milliards de dollars d'aide supplémentaire par an, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (Cnuced). «Addis-Abeba est crucial parce que c'est bien de mettre beaucoup de mots sur les papiers, mais tout cela ne marchera pas si l'on ne s'accorde pas sur une façon de financer le tout, donc de mettre de l'essence dans le moteur de l'essor des pays les plus pauvres», confie la Néo-zélandaise Helen Clark, administratrice du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud). Mais voilà : le carburant politique manque.
Création d’un organisme qui s’occuperait de fiscalité
Il y a comme un air de renoncement au multilatéralisme. Avec ce sentiment que des deals entre happy few (sur le commerce par exemple) valent mieux que des concessions sur des plus grands dénominateurs communs autour de biens «communs», justement. Les ONG dénoncent ainsi le maintien des cercles restreints − OCDE, G8/G20, etc. − au détriment de consultations plus inclusives. Et déplorent toujours que l’aide publique au développement patine, à 0,29% des revenus des pays riches, soit 135 milliards. En 2002, déjà, la première Conférence sur le financement du développement avait rappelé le besoin de parvenir à 0,7%, dont 0,15% à 0,20% pour les pays les plus démunis. Qui ne récoltent que de 0,9% de l’aide…
Comment éviter que les financements privés aux bilans discutables («un hôpital public-privé au Lesotho vient d'absorber 51% du budget national de la santé», rappelle Oxfam) se substituent à l'aide publique ? En mobilisant davantage de ressources nationales. «Le taux moyen de pression fiscale des pays pauvres ne dépasse pas les 15% quand il avoisine les 35% dans les pays riches», rappelle un ponte de l'Agence française de développement. Mais voilà : «Pour chaque dollar reçu (sous forme d'investissements ou d'aide extérieure), les pays en développement perdent environ deux dollars, à cause, de la fraude et de l'optimisation fiscales», déplore Christian Reboul, d'Oxfam. Par le seul levier de l'optimisation fiscale, les pays du Sud perdent 100 milliards par an de revenus.
Du coup, le G77 − qui rassemble 133 pays en développement − comme les ONG plaident pour la création d'un organisme qui s'occuperait de fiscalité et serait placé sous l'égide de l'ONU. Indispensable pour «une véritable justice fiscale au niveau mondiale, alors qu'il existe une organisation internationale pour s'occuper du tourisme et une union postale universelle», résume Antonio Gambini, du CNCD-11.11.11, une ONG belge. Mais les pays riches n'en veulent pas.
«Tsunami»
«On est sur le point d'aboutir à un accord révolutionnaire en 15 points, un tsunami pour réformer le système de taxation international, malgré la pression de multinationales», nous explique ainsi Angel Gurria, le patron de l'OCDE, le club des pays riches. L'institution lançait en grande pompe ce lundi une initiative avec le Pnud, un programme pour aider les pays à mieux chasser les fraudeurs : «Inspecteurs des impôts sans frontières». «Bien mais anecdotique», réplique Lucie Watrinet, du CCFD-Terre Solidaire, qui dénonce les pressions de pays donateurs sur l'Inde pour qu'elle rentre dans le rang : «Il est incroyable qu'à une conférence de l'ONU, l'Europe et les Etats Unis disent "tout le monde doit faire des efforts pour financer le développement", et en même temps refusent catégoriquement d'accorder une place à la table des décisions aux pays en développement.»
En parfait homme de synthèse (molle), le secrétaire général de l'ONU, Ban Ki-moon, a appelé les délégués à la «flexibilité» et au «compromis». «Laissons de côté ce qui nous divise et nos intérêts particuliers pour travailler ensemble au bien-être commun de l'humanité. C'est le temps de l'action globale pour les peuples, pour la planète.» Le problème : tout le monde n'a pas la même conception de l'urgence et de la planète. Ni les mêmes intérêts.