Le Parlement grec (la Voulí) a voté tôt jeudi matin les premières réformes exigées par l’Europe, mais au prix de fortes dissensions au sein de la majorité, au point qu’Athènes bruisse de rumeurs de remaniement, voire de nouvelles élections à l’automne. Mais, après ce vote houleux, le pays a mis sur les rails le premier train de réformes exigées, dont l’augmentation de la TVA.
Ce gage de bonne volonté lui permet d'entrevoir un début de solution pour soulager son asphyxie bancaire : l'Eurogroupe a autorisé, jeudi, un prêt de 7 milliards d'euros, prélude à un nouveau plan d'aide d'environ 85 milliards d'euros sur trois ans. Et Mario Draghi, le président de la Banque centrale européenne (BCE), a à son tour plaidé pour un allégement de la dette, une nécessité qu'il juge «indiscutable». Draghi épouse ainsi la position de Christine Lagarde, la patronne du Fonds monétaire international (FMI), qui avait fait mercredi de cet allégement un préalable à l'engagement de son institution au secours de la Grèce. Les deux poids lourds de l'ex-Troïka épousent ainsi avec un certain retard la position du Premier ministre grec, Aléxis Tsípras, au moment où lui-même se trouve affaibli dans son pays. Car la soirée de mercredi a été très agitée à la Voulí.
D'abord, lorsque la présidente du Parlement, Zoé Konstantopoulou, effectue son discours, les insultes, souvent sexistes, pleuvent, venant des rangs de la Nouvelle Démocratie (droite) et du Pasok (sociaux-démocrates). Mais la présidente, qui s'exprime comme députée de Syriza, ne s'interrompt pas. Elle s'oppose au projet de loi discuté, qui ouvre la voie à la réouverture des négociations avec les créanciers du pays (UE, BCE, FMI). Zoé Konstantopoulou dénonce le «chantage des créanciers» qui veulent faire «appliquer une politique de subordination» : «Le Parlement grec est appelé à ratifier l'enterrement de la procédure parlementaire, la cession de la souveraineté nationale, l'acceptation du total de la dette et la reconnaissance de toutes nos obligations, alors que la dette n'est pas soutenable», détaille-t-elle, en s'appuyant sur le rapport du FMI selon lequel, si la Grèce ne restructure pas sa dette, elle atteindra 200 % du PIB dans les deux prochaines années.
Le Parlement adopte néanmoins ce nouveau «mémorandum», comme l'appellent déjà les Grecs, en référence au nom déjà donné aux textes de 2010 et 2012 qui conditionnaient les politiques à appliquer dans le pays en échange de prêts pour éviter le défaut de paiement. «Jour noir pour la démocratie et le Parlement grec», estime la jeune présidente du Parlement, après le vote. Le plan est approuvé à 2 heures du matin, avec 229 voix pour, 64 contre et 6 abstentions. Les opposants sont divers : le dogmatique Parti communiste grec (KKE), qui prône une sortie de l'UE et de l'euro, les néonazis d'Aube dorée, qui espèrent incarner la protestation et 38 frondeurs de Syriza.
«Le 25 janvier, lors des législatives, nous avons eu un premier mandat qui a été de mettre un terme à l'austérité et d'appliquer des politiques favorables à une population qui souffre d'une crise humanitaire. Puis un deuxième, le 5 juillet, qui disait clairement non aux propositions des créanciers. Pourquoi fallait-il voter ce texte ?» se demande Ioanna Gaïtani, qui fait partie des opposants.
Varoufákis dit «non»
L’ex-ministre des Finances, Yánis Varoufákis, redevenu député, a aussi voté non. Auparavant, il a publié sur son blog la déclaration bruxelloise annotée de rouge (comme le FMI l’avait fait pour la proposition de la Grèce remise le 22 juin). Selon ses commentaires, la Grèce est de nouveau soumise à la troïka, c’est-à-dire à ses créanciers, privée de souveraineté, et doit réitérer les politiques appliquées depuis 2010, accentuant la récession et l’effondrement économique et social du pays. Il se retrouve sur la même ligne que Zoé Konstantopoulou.
Est-elle, alors, à la tête d’une fronde au sein du groupe parlementaire et du parti contre le Premier ministre ? Elle met le doigt sur les contradictions que Syriza au pouvoir doit gérer depuis qu’Aléxis Tsípras est rentré de Bruxelles, le 12 juillet, avec ce texte que nul ne digère vraiment… sauf les créanciers.
Mais côté politique, rien n’y fait. Au sein du parti, l’ex-leader adulé est de plus en plus critiqué : 109 des 201 membres du comité central de Syriza ont déclaré le texte non conforme aux engagements du parti.
Les remous sont également très forts au sein du gouvernement. Dans les couloirs de la Voulí, un ministre explique vertement à un journaliste : «Non, je ne démissionne pas. Mais je vais être démissionné.»
La ministre déléguée aux Finances, Nadia Valavani, a annoncé dans une lettre à Tsípras : «Alexis, tu sais mieux que moi que, dans une guerre, lorsqu'on est submergé par les forces de l'adversaire, la capitulation est autorisée, mais seulement en vue de regrouper nos forces et d'organiser la résistance pour changer les conditions qui ont mené à la défaite. Mais cette capitulation est si écrasante qu'elle ne permettra à aucune force de se regrouper.» Cette figure de proue du mouvement étudiant durant la dictature militaire, emprisonnée jusqu'à la chute du régime, conclut : «Il est impossible de continuer d'appartenir au gouvernement.» D'insistantes rumeurs prédisent un remaniement imminent, voire des élections à la rentrée : le scrutin pourrait «très probablement avoir lieu» d'ici à octobre, selon le ministre de l'Intérieur, Níkos Voutsís. Et au sein du palais Maxímou, le bureau du Premier ministre, des démissions seraient déjà sur la table, alors que l'instabilité politique est une des grosses craintes des créanciers. Mais, alors que le Parlement grec doit voter la semaine prochaine une autre série de mesures promises, la fronde dans toutes les instances où est présent Syriza n'est que l'expression d'une crise loin d'être achevée, qui s'attaque à tous les piliers de la société : économiques, sociaux, politiques et démocratiques.
Joie de l’opposition
Dans le salon des députés, l'opposition jubile. Les whiskies effacent les complexes. «Ils ont bien vu qu'ils ne pouvaient pas faire autrement !» lance un député, amusé et reconnaissant la faible marge de manœuvre politique dont dispose la majorité. A la buvette des députés, la gauche a le moral en berne. Le dilemme a la forme d'un cas de conscience. Pour Sia Anagnostopoulou, il ne faut pas «conduire le peuple au suicide. Le gouvernement allemand n'a aucun scrupule à mettre le peuple à genoux. Les créanciers sont capables d'écraser la Grèce en une journée. Face à ce chantage, tu meurs soit tout de suite, soit petit à petit.»La députée espère que ni le gouvernement ni Syriza ne sombreront dans une lutte fratricide. En réalité, les deux points d'achoppement majeurs au sein du parti renvoient à la question de la sortie de l'euro, une «chimère»selon le ministre Níkos Pappás, mais que toujours plus de membres de Syriza et de Grecs souhaitent, épuisés par l'austérité. C'est un des chevaux de bataille de la présidente du Parlement, Zoé Konstantopoulou.Utilisera-t-elle cet argument pour resserrer son parti ? «Un leader de gauche est né»,affirmait un journaliste de Kokkino, une radio de Syriza. Peut-être, mais qui ne pèse pas grand-chose sans un Syriza unifié.
En attendant, les créanciers européens restent très méfiants. Il subsiste «des interrogations sur la volonté et la capacité [du gouvernement grec] à mettre en œuvre» les réformes promises, a affirmé Mario Draghi, qui insiste : «Il sera du ressort du gouvernement grec» de lever ces doutes. Et de son côté, le ministre allemand des Finances, Wolfgang Schäuble, reste intraitable : «Un véritable effacement de la dette est incompatible avec le fait d'appartenir à l'union monétaire.»