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Libération

Bolivie : des étrangers pris au piège d'une manif à Potosí

La ville est en état de siège en raison de revendications sociales. Les touristes ne peuvent plus en sortir.
Des manifestants à Potosí, le 13 juillet. (Photo David Mercado. Reuters)
par Celia Guillon
publié le 17 juillet 2015 à 17h46
Potosí est une ville de 200 000 habitants dans le sud de la Bolivie, perchée à 4 000 mètres d’altitude sur une montagne riche en argent. C’est une cité qui s’est construite autour du commerce minier depuis le XVIsiècle, ce qui vaut à sa vieille ville d’être inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco. Depuis onze jours, Potosí est aussi une ville assiégée. Une manifestation impressionnante bloque les accès à la ville, et empêche quiconque de la quitter.

Que se passe-t-il pour les ressortissants étrangers ?

Les ressources commencent à manquer à l'intérieur de la ville coupée du monde. A cause de l'attrait touristique de la ville, de nombreux touristes français, britanniques, argentins se retrouvent pris au piège. «Soixante-dix Argentins sont actuellement piégés à Potosí sans argent ni vivres», a déclaré le ministre de l'Intérieur, Carlos Romero, selon l'AFP, qui dénombre également vingt Français, trois Britanniques et un Russe.

Joint par mail, Daniel Taber, un chercheur américain, a expliqué à Libération qu'il a failli se retrouver pris au piège : comme pour les 70 Argentins, le bus touristique qui devait l'emmener jusqu'au village ne l'a pas prévenu des troubles sur place. «[Le bus] nous a lâchés à environ une ou deux heures de marche de la ville en nous disant de finir à pied. Je n'ai pas compris d'abord, c'est venu petit à petit, quand nous avons vu les barricades, que nous avons compris que la ville était complètement retranchéeSans aucun moyen de rentrer dans la ville, Daniel Taber rebrousse chemin a pied, via le désert. D'un regard extérieur à la ville, il a pu évaluer un rassemblement «très calme – [les manifestants] marchaient simplement de long en large –, malgré une forte tension dans l'air».

La panique des personnes prises au piège depuis dimanche (quand la mobilisation, démarrée le 6 juillet, s'est durcie) a permis par ailleurs d'alerter les autorités des différents pays. «En raison de fortes tensions sociales, la ville de Potosí et sa région sont actuellement bloquées. Il est vivement recommandé aux voyageurs d'éviter de se rendre ou de transiter par cette zone», conseillait le site de la diplomatie française dès mardi.

«Les autorités locales prévoient des dispositions pour que les ressortissants étrangers puissent quitter la ville. Nous conseillons à tous les Britanniques présents à Potosí de contacter les autorités au poste de police départemental de Potosí […]. Evitez tous les larges attroupements et prêtez attention aux annonces des médias locaux», conseillait de son côté le gouvernement britannique sur son site internet ce vendredi.

Que demandent les manifestants ?

C’est un concentré de 26 demandes que veulent faire entendre les manifestants, principalement la mise en place d’infrastructures. Des hôpitaux, la création de postes de travailleurs sociaux dans les écoles, l’amélioration des routes, une centrale hydraulique, un centre de recyclage, un barrage, une usine de ciment, un aéroport mais surtout, la préservation de Cerro Rico : le sommet andin aux gisements précieux.

Ces demandes ne datent pas d'hier puisqu'elles reprennent certaines des 58 demandes au gouvernement faites lors d'une manifestation de dix-neuf jours, en 2010. L'association Comcipo (Comité civique de Potosí) était alors parvenue à l'établissement de 6 points à traiter en priorité. Un accord signé par le gouvernement. Cinq ans plus tard, faute de voir la cause avancer, les manifestations ont repris.

Afin d'ouvrir le dialogue, une émission politique de la télé Red Uno a reçu lundi la ministre de la Communication et le vice-président de Comcipo, qui a expliqué: « Si la valeur du minerai augmente, Potosí ira bien. Si elle baisse, nous entrerons dans une crise. Notre économie n'est absolument pas diversifiée. Nous avons mis nos demandes par écrit et attendons que le gouvernement dégage un budget pour le développement économique et social de la région de Potosí.» Face a une ministre peu disposée à l'échange, il a rappelé : «Potosí fait partie de la Bolivie. Evo [Morales] est notre président aussi. Nous avons le droit de nous réunir avec notre président pour trouver des solutions, puisqu'il est évident qu'avec un ministre, c'est impossible

Comment se déroule la manifestation ?


«Ce n'est pas une manifestation de mineurs seulement, toute la ville est mobilisée. C'est une manifestation civique, personne ne fait rien et peu importe la faim. Ils attendront qu'Evo Morales accepte de nous parler», a déclaré ce vendredi un Argentin pris au piège, contacté par la radio locale Radio Sucesos.

Des policiers supplémentaires ont été dépêchés à Potosí dès le 9 juillet. La tension provoquée par cette arrivée a été l'élément déclencheur pour la fermeture hermétique de la ville. Le 10 juillet, le ministre de l'Intérieur, Carlos Romero, a déclaré : «Il n'y a aucun manifestant d'arrêté. Nous appelons les habitants au calme et surtout à ne pas détruire les biens publics qui sont la source de leur développement économique.» Depuis, il n'est fait état d'aucun débordement, mais d'un face-à-face entre manifestants et forces de l'ordre.

La mobilisation est aussi l'œuvre d'un groupe de 2 000 personnes parties le 6 juillet faire pression sur le gouvernement. Ce cortège est arrivé jeudi soir à la capitale, La Paz. Son meneur, Johnny Llally, leader du Comcipo qui a lancé le mouvement de grève, a déclaré à l'AFP être «mobilisé indéfiniment pour que le gouvernement nous écoute». Le groupe ne veut négocier qu'avec le président, Evo Morales, qui a pour le moment refusé de le recevoir. Le ministre de l'Intérieur a déclaré mercredi : «Cette mobilisation est passée d'une mobilisation idéologique à une mobilisation politique, puis à un coup d'Etat.»